Le Conseil européen : le décollage du drone européen ?


Le Conseil européen : décollage du drone européen ?

 

Alors même que la Chine a annoncé le 22 novembre 2013 un premier vol réussi de son drone de combat furtif, l’Union européenne tarde à lancer son programme commun de drone MALE (Medium-Altitude Long-Endurance). La question sera à l’ordre du jour du prochain Conseil européen les 19 et 20 décembre 2013.


Un intérêt ancien

Depuis quelques années, les drones gagnent en importance. Ces véhicules aériens motorisés dirigés par des opérateurs au sol sont utilisés tant dans le domaine civil que  militaire, dans lequel ils peuvent alors être armés. Utilisés à des fins de surveillance, de renseignement, de transport ou de combat, les drones MALE, volant à moyenne altitude et possédant une grande autonomie, sont au cœur d’un feuilleton européen.

En mai 2013, la France explique qu’elle se tourne vers le drone Reaper, non armé pour le moment, fabriqué par les États-Unis en raison de l’absence de technologie européenne dans ce domaine. En effet, le contrat de maintenance des 4 systèmes Harfang, des drones développés par EADS à partir d’un appareil israélien, arrive à échéance cette année. Pourtant, l’idée d’une mise en commun des capacités pour l’élaboration d’un drone européen est évoquée depuis de nombreuses années.

Au cours de la dernière décennie, deux projets concernant les drones MALE ont commencé à être développés par des Etats-membres de l’Union européenne, avec une accélération depuis 2011 : le Telemos, conçu par BAE Systems et Dassault Aviation, avec le soutien de la France et l’Angleterre ; et le Talarion, développé par EADS, issu d’un accord tripartite entre la France, l’Espagne et l’Allemagne. En outre, le 16 juin 2013[1], Dassault Aviation, EADS et Finmeccanica ont appelé les gouvernements, dans un communiqué commun, à lancer un programme de MALE européen. Ces industriels attendent avec une certaine impatience un accord au niveau gouvernemental.

Pourtant, si la France est le pays leader en Europe dans le domaine des drones, elle n’a initié aucune action commune jusqu’à aujourd’hui, notamment au niveau politique. Devant les coûts pour le développement d’un tel programme, seule une décision commune de plusieurs pays européens pourrait permettre au Vieux Continent de rattraper son retard technologique, quoiqu’il ait déjà commencé à acquérir de l’expérience. En effet, des drones ont été utilisés par les Européens lors de plusieurs opérations comme en Afghanistan, en Libye ou plus récemment au Mali avec l’aide de Washington. Cependant, la fabrication de ce drone européen reste encore au ralenti… en attendant une décision avant 2014 ?

Le Conseil européen : sauver l’image d’une Europe de la Défense

Le drone sera un des points centraux des discussions du Conseil européen de décembre 2013, consacré à la Défense. Le 19 novembre, sept pays de l’Union Européenne (France, Allemagne, Espagne, Grèce, Italie, Espagne, Pays-Bas et Pologne) ont annoncé la création d’un « club des utilisateurs de drones ».[2] Cet accord devrait permettre à ces pays d’investir conjointement dans la recherche sur divers composants des drones, y compris la technologie d’évitement et l’automatisation du décollage et de l’atterrissage. Ceci rentre dans le cadre de l’Agence européenne de défense (AED) qui souhaite « identifier les opportunités de coopération ». Ce club répond à des besoins urgents émis par ces pays. Il est destiné à répondre au besoin de développement d’un équipement jugé crucial par les armées européennes, tout en réduisant la dépendance aux produits étasuniens et israéliens. Il est intéressant de noter que le Royaume-Uni n’a pas souhaité en faire partie.

Une autre coopération avait fait couler beaucoup d’encre : le « club Reaper ». Celui-ci a été fondé par la France, l’Allemagne, l’Italie, et, cette fois-ci, l’Angleterre, tous intéressés par le drone Reaper, de construction étasunienne. Le Ministre français de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, en est un fervent partisan. Cependant, même si les membres de ce club souhaitent intégrer de la technologie dans les drones qu’ils utiliseront, comme des capteurs, ces modifications nécessitent un accord des Etats-Unis pour une utilisation optimale. Cependant, ces derniers refusent pour le moment de donner cette liberté aux Européens. De plus, le plus grand frein au succès d’une coopération reste la souveraineté des Etats et les caractéristiques spécifiques voulues par chacun d’entre eux, empêchant un modèle unique utilisable par tous. Le développement par l’Union européenne de son propre drone MALE permettrait de limiter ce dernier impact, avec pour condition une entente préalable sur les technologies communes qui le constitueraient.

Ce nouveau club a été constitué à quelques jours à peine du Conseil européen, durant lequel les ministres évoqueront justement cette Europe de la Défense, qui donne l’impression d’être au point mort, à l’heure où les budgets militaires nationaux connaissent des réductions importantes. Le drone pourrait alors leur permettre de sauver l’image de cette Europe de la Défense. Mais une nouvelle « pause » dans le développement de ce programme n’est pas à exclure.

Horizon 2020

En effet, même en cas d’accord, l’horizon du programme ne se situe pas avant 2020, voire 2030, ce qui indique clairement que le marché européen restera ouvert aux produits étasuniens ou israéliens. Le marché mondial des drones va, quant à lui, plus que doubler au cours des dix prochaines années, passant de 5,2 millions de dollars à 11,6 millions, selon les estimations avancées par TEAL Group.[3]

Actuellement, seuls les Etats-Unis et Israël ont réussi à s’imposer sur ce marché, notamment lorsque les drones sont armés. La Chine vient de prouver qu’elle pourra bientôt les concurrencer. Du côté de l’Europe, les drones conservent, pour le moment, uniquement un usage de surveillance. Ils pourront être utilisés sur son propre territoire mais aussi lors d’opérations extérieures, pour le contrôle des frontières, l’observation lors de conflits ou de catastrophes naturelles.

Ainsi, les drones civils sont développés dans l’Hexagone, utiles par exemple à la surveillance opérée par la SNCF[4], améliorant probablement au passage son image auprès de la population à l’heure où l’utilisation des drones étasuniens au Yémen, au Pakistan et en Somalie ne se fait pas sans contestation d’une partie des populations locales. Un autre acteur s’est également doté d’un drone de surveillance le 3 décembre 2013 : l’Organisation des Nations Unies (ONU). Elle a lancé à Goma son premier aéronef non létal et sans pilote dans le cadre de la mission de paix pour la stabilisation en République démocratique du Congo, afin d’observer les mouvements de population[5]. Cette pratique devrait être de plus en plus privilégiée par l’ONU, démontrant ainsi que les drones sont bel et bien un outil du présent comme du futur.

Aussi l’UE se doit-elle d’acquérir cette technologie de façon autonome pour de nombreuses raisons, à commencer par la nécessité de retrouver son indépendance stratégique dans ce domaine et d’en limiter les coûts. De cette manière, il ne sera plus question de faire appel à Washington comme en Libye ou au Mali. Il s’agit enfin de s’assurer une certaine compétitivité sur ce marché si prometteur, au niveau militaire comme civil.

Sarah Robin
Membre du Comité Europe de la défense de l’ANAJ-IHEDN
Etudiante à l’IRIS Sup’ en Défense, sécurité et gestion de crise

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Les comités Aéronautique et Armée du futur de l’ANAJ-IHEDN organiseront une conférence le 15 janvier 2014, « Prospective sur l’emploi des drones aériens militaire : aspects technologiques et humains ».


[1] Dassault aviation, « Pour un programme de drone MALE européen », publié le 16 juin 2013. Url : http://www.dassault-aviation.com/fr/dassault-aviation/presse/press-kits/call-for-a-european-male-program/, consultée le 6 décembre 2013.
[2] Auteur ?, « Sept pays s’associent pour développer un drone européen », 19 novembre 2013, in Le Monde, http://www.lemonde.fr/international/article/2013/11/19/sept-pays-s-associent-pour-developper-un-drone-europeen_3516676_3210.html, consultée le 6 décembre 2013.
[3] Teal Groupe Corporation, « Teal Group Predicts Worldwide UAV Market Will Total $89 Billion in Its 2013 UAV Market Profile and Forecast », publié le 17 juin 2013, url : http://tealgroup.com/index.php/about-teal-group-corporation/press-releases/94-2013-uav-press-release, consulté le 6 décembre 2013.
[4] Groupe SNCF, « Des drones pour le réseau ferré », publié le 6 novembre 2013. Url : http://www.sncf.com/fr/presse/fil-info/surveillance-reseau-drones, consultée le 6 décembre 2013.

[5] Organisation des Nations Unies, « RDC: vol inaugural du premier drone de surveillance de la MONUSCO », publié le 3 décembre 2013. Url :  http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp/storyF.asp?NewsID=31617&Cr=RDC&Cr1=#.UqNk6yfl5U4, consultée le 6 décembre 2013.

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