Hydrocarbures : le talon d’Achille chinois ?


Hydrocarbures : le talon d’Achille chinois ?

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Avec 7,4% de croissance du PIB au 1er semestre 2014, un essor industriel fort et une augmentation des standards de consommation, les besoins énergétiques chinois sont colossaux. Cependant, en attendant la transition énergétique, le pétrole et surtout le gaz sont au cœur d’enjeux régionaux et internationaux. En Chine, la dépendance énergétique est-elle plus que jamais synonyme de vulnérabilité ?

Les réserves chinoises prouvées de pétrole, s’élèveraient à 24,4 milliards de barils[1]. La Chine est le 1er importateur mondial depuis fin 2013 et le deuxième consommateur derrière les Etats-Unis. Le pétrole représente actuellement 18% de la consommation totale d’énergie du pays. La dépendance à l’égard du brut étranger, estimée à 58% cette année, devrait atteindre près de 70% à horizon 2030.

Le gaz naturel devrait représenter 8% de l’énergie primaire consommée dans le pays fin 2015, et atteindre 10% en 2020. Moins polluant que le charbon et que le pétrole, le gaz devrait alimenter une part croissante des secteurs industriels, des transports, de la consommation domestique et, dans une moindre mesure, la production d’électricité[2].

La demande chinoise en hydrocarbures et la stratégie de diversification des sources d’importation ont des effets géopolitiques majeurs. Trois peuvent être identifiés :

–       Le développement de forces navales : à l’échelle régionale, l’accroissement des tensions avec le Vietnam et les Philippines, ainsi que la piraterie maritime à proximité du détroit de Malacca et en Mer de Chine méridionale ne font qu’accroître les risques sur les approvisionnements à destination de la Chine. Afin de les sécuriser, la Chine développe une stratégie dite du « collier de perles », en disposant de nombreuses bases militaires ou en investissant dans de nombreux ports afin de faciliter et de sécuriser, au besoin, les approvisionnements en provenance principalement du Moyen-Orient. Ces bases pourraient permettre à terme un déploiement de la Marine chinoise en haute mer[3], vers le détroit d’Ormuz, autre goulot d’étranglement de la région sur les routes maritimes à destination de la Chine. Le développement des corridors énergétiques entre le Pakistan et la Birmanie vers l’Est chinois (Xinjiang, Yunnan) témoigne d’une « crainte des détroits ».


Liaoning
Le porte avions chinois Liaoning lors d’un exercice.
Le développement d’une flotte à capacité de projection en haute mer est un enjeu majeur de sécurisation des détroits.

–       Une vulnérabilité accrue face aux Etats-Unis : malgré une mise en place difficile du « pivot »  et du Trans Pacific Partnership (TTP), les Etats-Unis développent ou renouent de nombreuses alliances prévoyant l’installation de bases ou de troupes avec, entre autres, les Philippines, la Thaïlande, le Japon, la Corée du Sud ou encore la Malaisie. Face à la politique de containment de Washington, Pékin développe un système A2/AD pour Anti-Access Area Denial visant à sécuriser l’espace maritime chinois via des moyens balistiques. Actuellement, les multiples conflits territoriaux autour des îles Diaoyu-Senkaku, notamment avec le Japon, permettent à Pékin de « tester » l’efficacité du pivot étasunien et l’union au sein de l’ASEAN[4]. De plus, la Vème flotte américaine est à proximité immédiate du détroit d’Ormuz par lequel passent 55% des importations pétrolières chinoises. En parallèle, Pékin accroit ses approvisionnements continentaux avec l’Asie centrale et la Russie comme en témoigne par exemple le méga contrat gazier de 400 milliards de dollars signé entre Gazprom et la CNPC en 2014.

 Carte ChineFrançoise ARDILLIER-CARRAS (coord), Philippe BOULANGER et Didier ORTOLLAND
Hydrocarbures et conflits dans le monde, Éditions Technip, Paris, 2012, p.265.

–       Le rejet croissant de la présence chinoise : à l’intérieur même du pays et depuis 2009, de nombreuses manifestations et attentats commis par des factions extrémistes ouïghoures pourraient à terme viser les infrastructures énergétiques stratégiques présentes au Xinjiang. À l’échelle régionale, des usines chinoises ont récemment été ciblées lors de violentes manifestations au Vietnam[5]. En Afrique, l’influence chinoise soulève de plus en plus de polémiques. En août 2013, une entreprise chinoise a vu son activité suspendue au Tchad pour non respect des normes environnementales. Quelques mois plus tôt, une entreprise chinoise devait également interrompre ses activités d’extraction au Gabon. En Afrique tout particulièrement, le rejet chinois pourrait être entretenu, voire s’étendre, et bénéficier aux Etats occidentaux.

Face à l’augmentation des budgets de défense en Chine, le développement de la flotte, la mise en place –et le probable renforcement[6]- du système A2/AD, les couloirs d’approvisionnements énergétiques pourraient devenir des cibles stratégiques pour qui veut affaiblir Pékin. L’entretien de foyers de déstabilisation en Asie Centrale, dans le Xinjiang, pourrait permettre, en cas de conflit, de mettre en œuvre des opérations de sabotages des infrastructures énergétiques chinoises qui, en étant coordonnées, pourraient avoir des conséquences majeures sur les plans économique et opérationnel pour les forces chinoises. Une autre hypothèse, peu envisageable toutefois, tant les conséquences économiques seraient aléatoires, serait la mise en place d’un blocus des exportations d’hydrocarbures à destination de la Chine.

                                    Pipelineattackbalou
La province du Baloutchistan (Pakistan), avec 216 attaques répertoriées de 2005 à 2014 contre des gazoducs,
pourrait menacer le projet de corridor énergétique Gwadar-Kashgar.

Du côté chinois, la politique de « désaméricanisation » mise en œuvre par Pékin pourrait, à long terme, libérer l’Empire du Milieu d’une dépendance au dollar et à la dette américaine entrainant ainsi un  bouleversement stratégique. En attendant, les autorités chinoises n’oublient pas de miser sur les énergies renouvelables afin d’amoindrir leur vulnérabilité.

 

Hugo Toupin
Membre du comité « Energies » de l’ANAJ-IHEDN

 
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[1] US Energy Information Administration, consulté le 15/06/2014, http://www.eia.gov/countries/analysisbriefs/China/china.pdf p4
[2] François LAFARGUE, « La Chine face à ses défis énergétiques », , in Diplomatie,,Les grands dossiers n°20, avril-mai 2014, p.30
[4] (en) Ankit PANDA, « Why Did China Set Up an Oil Rig Within Vietnamese Waters? », in The Diplomat, 13/05/2014 (consulté le 17/06/2014), http://thediplomat.com/2014/05/why-did-china-set-up-an-oil-rig-within-vietnamese-waters/
[5] C. BUCKLEY, C. DOAN et T.FULLER, “China targeted by Vietnamese in fiery riots”, in The International New-York Times, 14/05/2014 (consulté le 14 juin 2014), http://www.nytimes.com/2014/05/15/world/asia/foreign-factories-in-vietnam-weigh-damage-in-anti-china-riots.html?_r=0
[6]James STEINBERG et Michael O’HANLON, « Défense : quelle stratégie pour les États-Unis face à la Chine ? », in Les Échos, le 11/08/14 (consulté le 23 août 2014), http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-107221-defense-quelle-strategie-pour-les-etats-unis-face-a-la-chine-1032075.php

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