Les défis de la transition énergétique allemande


Les défis de la transition énergétique allemande

 

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A la suite de l’accident de Fukushima, l’Allemagne choisit d’accélérer sa transition énergétique entamée dans les années 2000. Les huit réacteurs nucléaires les plus anciens sont immédiatement fermés et des objectifs énergétiques et environnementaux ambitieux sont fixés : réduction de la consommation d’énergie et d’électricité, sortie totale du nucléaire d’ici 2022, croissance des énergies renouvelables et décarbonisation[1] massive.

Ce choix d’une transition rapide oblige l’Allemagne à faire face à de nombreux défis, aussi bien techniques qu’économiques.
 

        ·            La croissance rapide des énergies renouvelables intermittentes déstabilise les réseaux et les marchés bien au-delà du pays

 

En Allemagne, la part des renouvelables est passée de 6,6% du mix électrique en 2000 à 23,4% en 2013[2]. Le solaire photovoltaïque et l’éolien, premières sources renouvelables avec la biomasse, sont des énergies renouvelables dites « intermittentes aléatoires » : non seulement un panneau solaire ou une éolienne ne produit pas en permanence, mais, en plus, leur production ne peut être connue à l’avance. Ces sources représentent ainsi 12,5% de la production d’électricité allemande en 2013 mais 40% de la capacité installée[3].

Pour répondre au défi de l’intermittence, il faudrait pouvoir stocker l’électricité, ce qui est aujourd’hui impossible à grande échelle, à coût acceptable et sans pertes importantes[4]. L’Allemagne investit donc massivement dans la R&D sur le stockage de l’électricité.

Les périodes où la production des éoliennes et des panneaux solaires est faible ou nulle ne sont pas toujours corrélées à la diminution de la demande en électricité. Il est donc nécessaire que d’autres moyens de production permettent de répondre à cette demande. En général, il s’agit de centrales à gaz ou à charbon, flexibles et rapides à démarrer mais fortement émettrices de CO2, et créatrices de difficultés économiques pour leurs opérateurs, dans la mesure où il faut les arrêter et les redémarrer sans cesse (coûts fixes élevés) et où elles produisent finalement peu.

A l’inverse, il arrive que les éoliennes et les panneaux photovoltaïques produisent beaucoup trop par rapport aux besoins allemands. Comme l’offre et la demande d’électricité sur un réseau doivent toujours être égales sous peine d’un blackout généralisé, il faut alors écouler ce surplus d’électricité sur le marché européen. Cette arrivée massive d’électricité imprévue sur le marché de gros[5] fait baisser massivement les prix, qui deviennent même parfois négatifs[6]. Dans ce cas, il est fréquent que les opérateurs de barrages hydrauliques suisses utilisent cette électricité pour faire remonter l’eau en amont des barrages tout en touchant le prix négatif ; ils revendront l’électricité, cette fois à prix élevé, notamment à l’Allemagne, lorsque le vent ne soufflera plus et que le soleil ne brillera plus[7]…

Le mode de production des énergies renouvelables nécessite, en outre, d’adapter et de renforcer les réseaux. La production éolienne étant localisée principalement au nord de l’Allemagne et les centres de consommation au sud, il est nécessaire de construire de nouvelles lignes haute tension, qui coûtent cher et suscitent des oppositions locales. Plus généralement, la multiplication des centres de production de faible capacité nécessite de repenser complètement l’architecture des réseaux allemands. Au total, ce sont 8200 km de lignes haute tension qui devront être construits ou renforcés dans les années à venir pour un coût de l’ordre de 20 milliards d’euros[8].

        ·            Le développement des renouvelables est essentiellement financé par les ménages, qui paient leur électricité deux fois plus cher qu’en France

 

Depuis les années 2000, pour aider le développement des technologies renouvelables, l’Etat allemand achète l’électricité renouvelable à un prix fixe avant de la revendre sur le marché, en général à un prix moins élevé. La différence entre ce « feed-in tariff » et le prix de marché est financé via une taxe sur la consommation d’électricité, la « surcharge EEG », qui augmente régulièrement depuis sa création en 2000.

Afin de ne pas casser la compétitivité allemande, de nombreuses industries sont dispensées de cette surcharge ou bénéficient d’un taux réduit. La moitié seulement de l’électricité consommée en Allemagne est finalement soumise à une EEG totale, qui est donc principalement payée par les ménages. Le prix TTC de l’électricité pour les ménages allemands a ainsi crû de 67% depuis 2000.

 

Évolution du prix de l’électricité pour les ménages allemands[9]
Graphique

 

Une réforme globale du système de rachat de l’électricité renouvelable est actuellement en discussion au Parlement allemand afin de « freiner la hausse » des prix de l’électricité et de mieux la répartir.

        ·            Après vingt ans de baisse, les émissions de gaz à effet de serre allemandes se stabilisent
 

Depuis l’arrêt des huit réacteurs les plus anciens en 2011, la part du nucléaire dans le mix électrique a baissé de 6,6 points, ce qui représente également l’augmentation de la part d’électricité d’origine renouvelable (+6,8 points). Les énergies renouvelables sont donc venues remplacer une autre source non-émettrice de CO2, et la part des énergies fossiles est, elle, restée stable à 57% du mix. Au sein des énergies fossiles, le gaz a été remplacé ces dernières années par le charbon, désormais moins cher mais beaucoup plus polluant. Ainsi, le mix électrique allemand est de plus en plus carboné et il semble peu probable que l’Allemagne parvienne à atteindre son objectif de réduction des émissions pour 2020.

Conclusion : un pari ambitieux

Les millions d’euros investis en R&D permettront probablement un jour de stocker efficacement l’électricité et ainsi de lever le principal obstacle à la croissance des énergies renouvelables. Mais le pari allemand ne sera réussi que si les réseaux de transport et de distribution se montrent d’ici là capables de supporter ces hausses rapides de la production intermittente et si les consommateurs allemands acceptent la hausse continue des prix de l’électricité. Or, pour l’instant, les critiques des énergéticiens et des consommateurs ont conduit à un nouveau texte de loi, actuellement en examen au Parlement, dans le but de… ralentir le rythme de la transition.

 

Marie Meyruey
Membre du Comité Energie de l’ANAJ-IHEDN
Auditrice jeune de la 82e session IHEDN, Paris, 2014

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[1] L’Allemagne souhaite réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2020 (par rapport à 1990) et de 80 à 95% en 2050.
[2] Le mix électrique représente la part des différentes sources de production d’électricité. En général, ces sources peuvent être fossiles (charbon, pétrole, gaz…), nucléaires, ou renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, biomasse…). Il ne faut pas le confondre avec le mix énergétique, qui inclut d’autres types d’énergie (énergie motrice pour les transports, chaleur…). Source des données : Production brute d’électricité, AG Energiebilanzen, http://www.ag-energiebilanzen.de/#20131220_brd_stromerzeugung1990-2013.
[3]« Zahlen und Fakten », Ministère de l’Economie et de l’Energie, 19 février 2014, http://www.bmwi.de/DE/Themen/Energie/Stromversorgungssicherheit-und-Kraftwerke/zahlen-fakten,did=592684.html.
[3] BDEW, avril 2012, http://www.reuters.com/article/2012/04/23/germany-energy-bdew-idUSF9E7J100V20120423.
[4] A l’exception des barrages hydrauliques équipés d’une pompe permettant de faire remonter l’eau en amont lorsque de l’électricité est disponible. Ces barrages ne peuvent être installés que sur des terrains réunissant des conditions très précises.
[5] Le marché sur lequel producteurs et fournisseurs d’électricité se rencontrent.
[6]Exemple en date du 20 juin 2013 : http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/06/20/les-grossistes-francais-confrontes-aux-prix-negatifs-de-l-electricite_3433318_3234.html.
[7] Audition de M. Jacques Percebois, Professeur et co-auteur du rapport « Energies 2050 », par la Commission d’enquête du Sénat sur « le coût réel de l’électricité », 4 avril 2012, http://www.senat.fr/rap/r11-667-2/r11-667-223.html
[8] Opérateurs de réseau allemands 50Hertz, Amprion, TenneT TSO et TransnetBW, mai 2012, http://www.spiegel.de/international/germany/germany-needs-miles-of-new-power-lines-to-make-energy-transition-a-835979.html
[9]Pour un ménage moyen de 3 personnes consommant 3 500 kWh par an. BDEW, 2013, https://www.bdew.de/internet.nsf/id/17DF3FA36BF264EBC1257B0A003EE8B8/$file/Foliensatz_Energie-Info-EE-und-das-EEG2013_31.01.2013.pdf.

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