Quels développements pour le marché français de la sûreté à l’international ?

Quels développements pour le marché français de la sûreté à l’international ?

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Le 30 octobre 2012, huit[1] des principales entreprises françaises de sûreté à l’international annonçaient la création du Club des entreprises françaises de sûreté à l’international (CEFSI). Ce dernier avait pour objectifs « d’être un lieu d’échange, de connaissances, de partage d’expériences, de coopération des entreprises françaises de sûreté à l’international » ainsi que « d’assurer un lien relationnel entre les entreprises, les autorités nationales européennes ou internationales en ce qui concerne le domaine de la sûreté à l’international »[2]. Il devait permettre de fédérer un marché français fortement atomisé[3], et d’offrir aux pouvoirs publics un interlocuteur unique et représentatif des entreprises du secteur.

Deux ans après sa création, on peut se demander si le CEFSI ne s’apparente pas plus à une coquille vide qu’à un véritable centre de réflexion et d’échanges pour les entreprises membres. Si certaines actions ont été menées, comme la participation à la commission de normalisation de l’Agence française de normalisation (AFNOR) portant sur la future norme ISO 18788 – Bonnes pratiques pour la qualité des Entreprises de Service de Sécurité et de Défense (ESSD) – il n’en reste pas moins que les objectifs principaux du CEFSI ne sont aujourd’hui pas atteints. Dans le même temps, les pouvoirs publics peinent à évoluer de façon cohérente vers la mise en place d’un cadre juridique qui prendrait en compte l’ensemble du secteur national des entreprises françaises de sûreté opérant à l’étranger.

Lors d’un colloque organisé le 28 mai 2013 à l’Ecole militaire sur le thème « ESSD : quels développements pour la France après le rapport Ménard-Viollet 2012 »[4] , l’un des intervenants avait affirmé : « il serait très utile, voire même [sic] indispensable, que [les ESSD] marquent de manière forte leur volonté de s’organiser, de mettre en place une éthique dans leur activité et des règles précises dans leurs domaines d’interventions […]. Donc, Mesdames et Messieurs les ESSD, étonnez-nous et prenez des initiatives!».[5]

Considérant les entreprises de sûreté à l’international comme un atout, tant économique que politique, pour la France, il est impératif de s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour permettre à ce secteur porteur de se développer dans un cadre juridique et éthique conforme aux principes et aux valeurs de notre pays.

Regardons d’abord l’existence d’un secteur français sérieux mais dominé par d’autres. Examinons ensuite la faiblesse des actions menées par les autorités françaises, qui ne prennent pas assez en considération un secteur qui ne demande qu’à se développer. Evoquons enfin les voies qui s’offrent aux entreprises françaises du secteur pour développer utilement leur offre sur le marché international.

Regard sur le marché français de la sûreté à l’international

Le marché français de la sûreté à l’international regroupe les entreprises offrant, à des Etats, à des entreprises, à des ONG, des prestations visant à assurer la sûreté de leurs personnels, de leurs installations ou de leur patrimoine informationnel, donc la tranquillité de leur activité, dans les pays étrangers où ils sont implantés. Les entreprises de sûreté à l’international ont le plus souvent été créées par d’anciens fonctionnaires ayant souhaité mettre à profit les compétences acquises lors de leur activité au service de l’Etat pour développer une activité privée dans un cadre entrepreneurial plus souple et dans un secteur aux fortes potentialités. Elles effectuent notamment des prestations de veille, de conseil, d’analyse, d’audit, de gestion de crise, de protection d’infrastructures et de personnes ; mais elles se livrent aussi, plus largement, à un vaste panel d’activités dans lesquelles l’utilisation d’armes est relativement marginale. A titre informatif, à l’échelle mondiale, les prestations armées représentent seulement 20% du chiffre d’affaires du secteur.[6]

Les acteurs français restent de taille relativement faible par rapport à leurs homologues anglo-saxons.[7] Ils peuvent cependant s’appuyer sur les compétences des anciens fonctionnaires qu’ils recrutent, très prisées par les entreprises anglo-saxonnes, qui apprécient le savoir-faire des Français, notamment pour participer à des actions dans les pays francophones. Ces compétences, que d’aucuns qualifient de « french touch », permettent de se démarquer de la concurrence internationale en proposant aux clients potentiels une approche de la sûreté notamment centrée sur l’intégration des entreprises et de leurs salariés dans leur environnement.

Le marché français avoisine les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce chiffre est à comparer aux 100 milliards de dollars du marché mondial de la sécurité privée (estimation basse intégrant les prestations de sécurité privée sur les territoires nationaux)[8]. Si cette comparaison rencontre certaines limites (contrairement aux entreprises françaises, les Anglo-saxons se sont en premier lieu construits et développés grâce aux externalisations étatiques et aux prestations de sécurité privée sur leur territoire d’origine), elle permet d’appréhender l’écart qui existe entre les entreprises du marché français et les géants étrangers dont le chiffre d’affaires peut atteindre plusieurs milliards de dollars.

Face à cette réalité économique, il est légitime de s’interroger sur les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour faire enfin émerger une offre française capable de s’aligner sur les grands contrats internationaux.

En effet, « dans un contexte de crise et de compétition violente, les ESSD françaises constituent des instruments de conquête de marché efficaces pour les entreprises nationales et européennes. Elles sont également un facteur non négligeable d’influence, pour les intérêts nationaux ».[9]

Action et inaction de l’Etat dans le domaine de la sûreté à l’international

Dans la préface du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2008, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, rappelait les deux objectifs qu’il souhaitait assigner à la stratégie de Défense et de Sécurité française. Le deuxième de ces objectifs était « de permettre la protection de tous les Français ». Nicolas SARKOZY souhaitait alors «  une réflexion très large qui ne se limite pas aux seules armées, pas plus que les questions de sécurité aux seules forces de sécurité intérieure ».[10]

Dans ce contexte, le Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN), devenu par la suite Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), s’était vu confier une mission de réflexion sur l’avenir des Entreprises de services militaires privés (ESMP). Cette mission devait notamment aboutir à un projet de loi règlementant le secteur français de la sûreté à l’international (maritime et terrestre). Avec les élections présidentielles de 2012, ce projet politiquement sensible avait été « enterré ». Il a fallu attendre que le lobbying et les arguments économiques des armateurs français portent leurs fruits pour le voir resurgir sous la forme d’un projet de loi sur les activités privées de protection…des navires.

Le gouvernement a ainsi décidé de ne légiférer que sur le domaine maritime, le domaine terrestre relevant, selon les dires du secrétaire d’Etat aux Transports Frédéric CUVILLIER, « d’un autre débat ».[11] S’exprimant à l’Assemblée Nationale lors du débat du 29 avril 2014 sur le projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires, Frédéric Cuvillier a en effet affirmé, au sujet d’un amendement proposé par le député du Tarn Philippe FOLLIOT (UDI), « que la question des ESSD, que vous évoquez, est tout à fait distincte du problème abordé dans ce texte, à savoir les règles régissant les entreprises privées de protection des navires. Sans alourdir les débats par des références à des textes existants, je mentionnerai tout de même la loi du 14 avril 2003, relative à l’activité des ESSD hors du territoire français ».

Il serait sans doute utile de rappeler que la loi de 2003 évoquée réprime non l’activité des entreprises effectuant des prestations de sûreté à l’étranger, mais bien l’activité de mercenariat : cette dernière n’a rien à voir avec les ESSD mais fait office d’épouvantail pour des raisons tout à fait confuses, voire idéologiques, dont ne s’encombrent pas d’autres gouvernements étrangers. On peut ainsi craindre qu’en ce qui concerne l’aspect juridique, la porte ne soit définitivement fermée et qu’aucune évolution significative n’intervienne avant les élections présidentielles de 2017 pour régir l’activité des entreprises de sûreté à l’international opérant hors du territoire français.

Néanmoins, certaines évolutions importantes sont à noter. Ainsi, le 1er mars 2013 a été créée au sein du ministère des Affaires étrangères une direction des entreprises et de l’économie internationale (DEEI). Cette entité a notamment pour mission de mobiliser les 15 000 fonctionnaires du réseau diplomatique français afin « de faire de ce réseau un avantage concurrentiel pour les entreprises françaises ».[12]Au sein de cette direction, des personnels sont désormais en contact régulier avec les entreprises françaises du secteur de la sûreté à l’international, et ce en vue « de les guider vers un positionnement tel qu’elles puissent remporter des marchés de sécurité à l’international ». Le ministère des Affaires étrangères travaille également en coopération avec les entreprises françaises du secteur à travers l’échange et le croisement d’informations sur la situation sécuritaire dans certains pays. Ainsi, des services étatiques agissent en bonne intelligence avec ces entreprises afin de les aider à conquérir des marchés et ce même si leur activité n’est pas encore officiellement admise, et encore moins encadrée juridiquement.

En définitive, il semblerait que les entreprises françaises doivent elles-mêmes agir si elles veulent que les choses évoluent réellement.

Faire évoluer le marché français de la sûreté à l’international

Les entreprises françaises se trouvent confrontées à deux problèmes principaux. D’une part, elles n’ont que peu ou pas de commandes étatiques (françaises), alors que les principaux acteurs étrangers ont un business model fondé sur les externalisations provenant de leur Etat d’origine. Ainsi, les principales entreprises américaines se sont construites en fournissant des prestations aux différentes émanations du gouvernement américain. D’autre part, elles restent des entreprises de petite taille comparativement à leurs homologues anglo-saxonnes, ce qui les handicape dans la course aux grands appels d’offres internationaux. Certains évoquent également « le problème du réflexe gaulois, de la guerre des tribus, qui consiste à se considérer concurrent plutôt que de s’associer et de capitaliser sur nos complémentarités pour gagner des marchés ».[13]

Le rapprochement des entreprises françaises de sûreté à l’international, par le biais de groupements, ayant la personnalité juridique ou non, ou de fusions acquisitions, pourrait apporter une solution à ces problèmes.

Le CEFSI regroupe la majorité des grands acteurs français du secteur. Il peut jouer un rôle de réflexion et de représentation mais ne saurait intervenir directement dans le cadre d’appels d’offres. Cependant, avant que ce Club ne joue réellement son rôle, il faudra que les entreprises membres acceptent de mettre de côté leurs divergences.

Créer des groupements d’entreprises permettrait de mutualiser les moyens humains et financiers pour supporter les coûts de contrats importants et ainsi répondre à des appels d’offres aujourd’hui inaccessibles pour une entreprise seule. Ces entreprises pourraient par la suite se répartir les prestations en fonctions de leurs spécialités.

La création d’un leader français, voire européen, par la voie de fusions-acquisitions, ferait émerger un « champion », capable à plus ou moins long terme de rivaliser avec les entreprises anglo-saxonnes sur les plus gros contrats. Ce « champion » pourrait s’inspirer dans son organisation de la structure de Défense Conseil International (DCI) en s’organisant en entités distinctes, correspondant aux différentes activités de l’entreprise, le tout intégré à un ensemble juridique et financier unique.

Il semble probable que dans les mois à venir des rapprochements s’effectuent au sein du marché français de la sûreté à l’international, que ce soit sous la forme de groupements ou de fusions-acquisitions. Quelle que soit la solution adoptée, elle nécessitera un accord des différents acteurs concernés. Gageons que, malgré les réticences, certaines de ces entreprises réussiront à se mettre d’accord afin de permettre au secteur de se développer et d’attirer l’attention de l’Etat français sur ses potentialités, tant en termes économiques que d’influence.

Clément DURAND
Membre de l’ANAJ-IHEDN

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[1] AICS Protection, AMARANTE International, ANTICIP, CRISIS Consulting, ERYS Group, ESEI, GALLICE Group et GEOS.

[2] Philippe CHAPLEAU, « Le club des entreprises françaises de sûreté à l’international officiellement créé » in Ligne de défense [blog Ouest-France], 30 octobre 2012.

[3] « Une dizaine d’ESSD  solides, [entreprises de taille moyenne] et une multitude de petites entreprises » / Rapport MÉNARD – VIOLLET de 2012, p.40.

[4] Rapport d’information sur les Sociétés militaires privées déposé par la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées et présenté par les Députés Christian MÉNARD et Jean-Claude VIOLLET, le 14 février 2012.

[5] Stéphane PÉNET, Directeur des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d’assurance, lors du colloque organisé par le CSFRS, le CDSE et le CEFSI sur les ESSD, le 28 mai 2013 à l’École militaire.

[6]    Rapport MÉNARD – VIOLLET de 2012, p.9.

[7]    A titre de comparaison, GEOS, la plus grosse société française a réalisée 29 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013, quand certaines des grandes sociétés anglo-saxonnes ont un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars.

[8]    Rapport MÉNARD – VIOLLET de 2012.

[9]    « Les entrepreneurs de la sécurité dialoguent », in Défis [revue de l’INHESJ], numéro 2, 2014.

[10] Nicolas SARKOZY, Préface du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale de 2008.

[11] S’exprimant à l’Assemblée Nationale lors du débat du 29 avril 2014 sur le projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires.

[12] Jacques MAIRE, (Ancien) Directeur de la DEEI, interview du 6 avril 2014 sur France 24.

[13] Gilles SACAZE, « Les entrepreneurs de la sécurité dialoguent » Interview in, Défis, [revue de l’INHESJ], numéro 2, 2014.

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