L’or noir de l’Arabie Saoudite

L’or noir de l’Arabie Saoudite

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La découverte du pétrole en Arabie saoudite

Depuis la création du Royaume saoudien en 1932 par Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud, dit Ibn Séoud, l’exploitation du pétrole est un pilier fondamental pour le pays, tant dans l’organisation de son fonctionnement interne que dans son positionnement régional et international. Pour mieux appréhender la réalité de ce Royaume, revenons sur les origines de la découverte de cet or noir qui fait aujourd’hui la richesse et la puissance de l’Arabie saoudite.

Au début des années 1920, alors que le roi Abdul Aziz ne croit pas à la présence de pétrole dans la région, les difficultés financières que va connaître le Royaume vont l’amener à suivre les conseils de l’espion anglais St. John Philby[1] et à laisser les ingénieurs étasunien faire des prospections en 1923, Ibn Séoud accorde la première concession pétrolière du territoire à un consortium britannique, l’Eastern General Syndicate. Face à l’absence de résultats concluants, Ibn Saoud interrompt cette concession en 1928. Les étasuniens profitent alors de sa méfiance à l’égard des Britanniques, qui favorisaient les Hachémites et qui étaient très présents dans la région depuis le XIXe siècle avec des traités qui les liés notamment avec le Qatar et Bahreïn et le protectorat avec le Koweït[2]. De 1915, date de la signature de l’accord de Darine entre Percy Cooks et Ibn Saoud, jusqu’en 1945, date de la signature du pacte de Quincy avec les Etats-Unis, le roi vécut cette période comme étant au service des Anglais. L’intérêt croissant des Etats-Unis lui a ainsi permis de sortir de cette configuration[3]. Alliée à la TEXACO et créée spécialement pour le pays, la compagnie étasunienne California Arab Standard Oil Company (CASOC) découvre, en mai 1930, les premiers gisements ans le Hassa et dans la région de Dhamman, le long de la côte du Golfe persique. Une nouvelle fois sur les conseils de St. John Philby, l’Arabie saoudite vend à la CASOC, en juillet 1933, la concession laissée vacante en 1928. Le contrat s’étend sur une durée de soixante ans afin de développer l’industrie pétrolière saoudienne. Cet accord prévoit que la CASOC verse au Royaume une rente annuelle de 5 000 livres jusqu’à la découverte de pétrole puis lui concède à partir de là un prêt de 250 000 livres à valoir sur les royalties de 4 shillings par tonne de brut[4]. La CASOC a ensuite ouvert son capital à d’autres compagnies étasuniennes et devenir en 1944 l’Arabian American Oil Company (l’ARAMCO), une société mixte saoudo- étasunien.

La découverte de ces importantes réserves de pétrole va permettre à l’Arabie saoudite de développer son influence à l’échelle régionale et internationale. Au lendemain de la conférence de Yalta en 1945, le président étasunien Roosevelt et le roi Ibn Saoud se rencontrent à bord du croiseur étasunien USS Quincy sur le lac Amer, situé entre Suez et Port-Saïd. C’est à ce moment-là que les deux Etats signent un pacte selon lequel, en échange du monopole d’exploitation des gisements d’Arabie saoudite par les Etats-Unis, ceux-ci s’engagent à protéger militairement le Royaume. Cet accord est conclu pour 60 ans et sera renouvelé par George W. Bush en 2005.

Développement des réserves

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, d’autres gisements sont découverts. Celui de Ghawar[5] en 1948, au nord-est de Riyad qui est le plus grand gisement du monde puis celui de Safaniyah[6] (situé à proximité de la zone neutre koweito-saoudienne[7]), en 1951, le plus grand gisement pétrolier offshore au monde. En 1962, vingt nouveaux gisements sont découverts au large de l’Arabie saoudite dans le Golfe persique[8].

Les principaux gisements de bruts légers[9] se trouvent à l’Est du pays dans la région orientale de Sharghieh près de Dammam où vit une grande partie des chiites, tandis que la majorité du pétrole extrait provient de la région du Hasa. Malgré la découverte récente de gisements dans le Nejd, au sud de Riyad, un déséquilibre géographique des ressources naturelles demeure dans le Royaume.

Alors que les premiers puits ont commencé à produire du pétrole en 1938, la commercialisation ne débute qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La production est passée de 550 000 barils/jours en 1950 à 11,5 millions en 2013[10], soit 13% de la production mondiale. Bien que la production augmente fortement durant cette période, il n’en est pas de même concernant les recettes pétrolières. C’est pourquoi les dirigeants saoudiens signent avec l’ARAMCO, le 30 décembre 1950, un accord dit de fifty-fifty. L’entreprise s’engage à verser au gouvernement saoudien la moitié des bénéfices nets avant l’impôt étasunien. Les dirigeants du Royaume vont imposer une taxe sur la production du pétrole. En 1952, le gouvernement saoudien obtient 25% du capital de l’ARAMCO avant d’en prendre 60% en 1953 puis 100% en 1988, date à laquelle la société devient la Saudi ARAMCO.

Un important oléoduc (le Trans-Arabian Pipe Line) est construit à la même période au début des années 1950. Il permet de transporter le pétrole sur 1200 km du Hasa vers le port libanais de Saïda sur la Méditerranée en passant par la Jordanie et la Syrie. Il cesse de fonctionner en 1975 à cause du montant des taxes devant être versées aux autorités saoudiennes, jordaniennes, irakiennes et libanaises. De plus, il est endommagé à plusieurs reprises. Quelques années plus tard, en 1981, l’oléoduc Pétroline, long de 120 km transportant du pétrole et du gaz est construit entre le champ d’Abqaiq près de Damman et le port de Yanbu sur la mer Rouge à l’est du Royaume. Il permet de transporter une grande partie des exportations de brut de l’Arabie saoudite et d’éviter le détroit d’Ormuz.

Evolution de la stratégie interne et externe sous le signe de l’or noir

Comme pour les autres Etats du Golfe, la découverte, l’exploitation et l’exportation du pétrole ont modifié le mode de vie des Saoudiens. La population se sédentarise et les zones urbaines s’étendent (plus de 80% de la population), poussant feu le roi Abdallah moderniser l’industrie et les transports du Royaume.

Les importantes réserves prouvées de pétrole permettent aussi à l’Arabie saoudite de bénéficier d’une place et une influence importante sur l’échiquier régional et mondial. L’actualité récente l’a encore démontré alors que Riyad réussit à mettre en œuvre sa stratégie qui vise à faire fléchir le prix du brut. Deux angles d’analyse peuvent fournir quelques éléments d’explication.

Le premier concerne la volonté de Riyad de défendre ses parts de marché[11] et de confondre les stratégies et les intérêts des Etats n’appartenant pas à l’OPEP. En agissant ainsi, le Royaume porte atteinte à la production de gaz et de pétrole non conventionnels étasunien. C’est ce qu’a annoncé le ministre du pétrole saoudien, Ali al-Naimi, durant une réunion à huis-clos de l’OPEP jeudi 27 novembre 2014 à Vienne[12]. Le coût d’exploitation des gisements de ressources non conventionnelles est plus important que celui des ressources conventionnelles. C’est notamment lié au forage horizontal et à la fracturation hydraulique qui sont très couteux. Ainsi pour être rentable, les gaz et pétrole de schiste ont besoin d’un prix du baril de pétrole plus élevé qu’il ne l’est actuellement. Face à la baisse du prix du baril de pétrole, les majors étasuniennes ont abandonné de nombreuses exploitations jugées insuffisamment rentables. La stratégie saoudienne permet par ailleurs d’affaiblir son principal ennemi régional chiite qu’est l’Iran dans un contexte où Téhéran renoue des contacts avec Washington concernant le dossier du nucléaire. En effet, à la suite de cette importante baisse du prix du brut, l’économie iranienne aurait perdu de 20 à 30% de ses revenus pétroliers[13].

Le second repose sur un désaccord diplomatique. Riyad n’a pas apprécié d’être écartée par les Etats-Unis des négociations avec Téhéran, comme le souligne le Prince Turki al-Faisal dans un article du Wall Street Journal[14].

A moins que cette baisse du prix du pétrole ne soit en réalité une alliance entre Washington et Ryad visant à contraindre Téhéran à accepter les demandes occidentales concernant leur programme nucléaire. Cette chute du cours de l’or noir aurait, en outre, pour objectif de toucher la Russie – dont les recettes des exportations et du budget reposent à 50% sur le pétrole pour la sanctionner en raison de la politique qu’elle mène en Ukraine et de son soutien à Téhéran.

Si cette politique fait aussi perdre à l’Arabie saoudite plusieurs centaines de milliards de dollars, Riyad peut néanmoins se permettre de prendre ce risque. Ses larges réserves de change et le faible coût d’extraction (entre 5 et 10 dollars le baril) lui permettent de mieux encaisser le choc.

Quelle que soit la réelle volonté des dirigeants saoudiens, le Royaume aspire, à travers cette baisse du prix du pétrole, à montrer, aux pays membres de l’OPEP ainsi qu’à ceux se trouvant en dehors de l’organisation, qu’il reste le pays le plus influent de la région et le régulateur de l’échiquier pétrolier mondial. Dans un contexte interne et régional difficile, cela lui permet de garder un poids important dans les discussions avec les principales puissances occidentales et notamment avec les Etats-Unis. En témoigne la déclaration du président Barack Obama en mai dernier appelant à renforcer les liens entre les Etats-Unis et les pays du Golfe.

Frédéric Sicard
Membre du comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN

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[1] St. John Philby est un espion Anglais, converti à l’islam, qui avait été chargé avec Lawrence d’Arabie d’organiser la révolte arabe pendant la Première Guerre mondiale.
[2] Kelner Tierry et Djalili Mohammed-reza, « Au centre pétrolier du monde : le golfe persique », in Outre-terre, 2006/1, n°14, p.341 à 375.
[3] http://www.madaniya.info/2015/01/07/esclave-des-anglais-a-propos-de-la-creation-du-royaume-d-ibn-saoud-2-2/ consulté le 24/05/2015.
[4] Da Lage Olivier, Géopolitique de l’Arabie Saoudite, Editions complexes, 2006, Bruxelles.
[5] Il renfermait au moment de sa découverte l’équivalent de 120 milliards de barils de pétrole.
[6] Il renfermerait l’équivalent de 30 milliards de barils de pétrole.
[7] Sébille-Lopez Philippe, « L’évolution récente des cours du pétrole vue des pays du golfe arabo-persique », in Hérodote 2/ 2009 (n° 133), p. 198-222.
[8] Ardillier-Carras Françoise (coord.), Boulanger Philippe, Ortolland Didier, Hydrocarbures et conflits dans le monde Stratégies énergétiques et enjeux contemporains, Editions TECHNIP, Lassay-les-Châteaux, 2012. 267 pages.
[9] 98% du pétrole d’Arabie saoudite.
[10] http://www.eia.gov/countries/country-data.cfm?fips=sa.
[11] http://petrole.blog.lemonde.fr/2014/11/29/contre-choc-petrolier-les-saoudiens-menent-une-guerre-des-prix-contre-les-etats-unis/
[12] http://www.reuters.com/article/2014/11/28/us-opec-meeting-shale-idUSKCN0JC1GK20141128
[13] http://www.atlantico.fr/decryptage/guerre-invisible-que-mene-arabie-saoudite-prix-petrole-thomas-porcher-alain-rodier-1846868.html#64vHo6Fzl6LWtaXM.99
[14] http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20141119trib75179f78f/baisse-du-petrole-un-axe-washington-riyad.html

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