Maghreb : enjeux et défis à venir

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maghreb : enjeux et défis à venir

Le vendredi 28 octobre dernier, les membres du comité Afrique des Jeunes IHEDN ont eu le privilège de recevoir à l’occasion de leur afterwork mensuel, le journaliste et enseignant-chercheur, Mehdi MICHBAL pour échanger sur les enjeux actuels du Maghreb.

Journaliste et enseignant chercheur à l’Institut Marocain d’Intelligence Stratégique, Mehdi MICHBAL est un spécialiste sur les questions économiques et politiques du Maghreb. Ce diplômé en ingénierie financière a fait ses armes dans différents supports tels que le magazine Jeune Afrique, le Desk, Médias 24 ou encore dans le magazine TelQuel où il a été chef des pages « Économie » et « Business » puis rédacteur en chef du magazine. Il a été enseignant universitaire à l’Université Mundiapolis de Casablanca et à l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Paris.

Pays du Maghreb : État des lieux

De l’arabe « Al-Maghrib », désignant le coucher du soleil, le Maghreb se compose de cinq pays : l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie et la Libye (l’Égypte n’étant pas incluse). Ces pays se caractérisent par une instabilité plurisectorielle (économique, sociale et politique) aggravée successivement par la pandémie de Covid-19 puis par l’impact de la guerre russo-ukrainienne.

La Tunisie est le pays le plus impacté. Ce constat s’expliquerait par l’étroite dépendance du pays aux importations de blé en provenance d’Ukraine ainsi qu’à la fluctuation des prix mondiaux de l’énergie. Cette crise s’inscrit dans un marasme socio-économique dont témoigne le fort taux de chômage et un secteur économique particulièrement défaillant. Sur le plan politique, le référendum constitutionnel du 25 juillet 2022 représente pour certains Tunisiens une atteinte à la vie démocratique. L’ensemble de ces éléments sont à l’origine d’un mécontentement général.  

Plus à l’ouest, le Maroc subit depuis le début de l’année une sécheresse, fait face à une inflation réelle et est le théâtre de protestations. La réalité apparaît toutefois plus nuancée du côté algérien. En effet, l’Algérie bénéficie, en tant que grand fournisseur de gaz, de la hausse des prix mondiaux de l’énergie. Cependant, le pays est à l’image de la Tunisie, victime d’une hausse des prix des denrées alimentaires. Enfin, les troubles agitant la Libye représentent un risque supplémentaire pour la sécurité des pays du Maghreb.

Un Maghreb désuni

En 1988, les États d’Afrique du Nord souhaitent se rassembler autour d’une histoire et d’une mémoire communes à travers la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA) dont l’objectif principal serait la coopération régionale. Le projet ne pourra toutefois pas aboutir en raison des rivalités qu’entretiennent les États membres, notamment entre le Maroc et l’Algérie. Le commerce entre les cinq pays de l’UMA ne représente aujourd’hui que 3% de leurs échanges globaux, ce qui en fait la région la moins intégrée au monde.

La question du Sahara occidental est à la source de tensions embrasant les relations maroco-algériennes. La guerre des sables d’octobre 1963 opposant les deux pays a profondément imprégné les mémoires nationales des deux États. En outre, le Maroc considère sa souveraineté sur le Sahara occidental comme une cause nationale non-négociable, tandis que l’Algérie soutient le Front Polisario, que l’État Chérifien perçoit comme groupe terroriste.

Après la Marche verte de novembre 1975, au cours de laquelle 350 000 Marocains non armés marchent vers la colonie espagnole, le Maroc prend l’avantage et les relations se détériorent avec l’Algérie. Après cela, et suite aux accords de Madrid, le territoire est divisé entre le Maroc et la Mauritanie. En décembre, le régime algérien riposte en initiant l’expulsion soudaine de 45 000 familles marocaines établies dans le pays.

En mars 1976, le Maroc rompt ses relations diplomatiques avec l’Algérie qui a reconnu la République arabe sahraouie démocratique. Pour justifier leur position rigide sur la question du Sahara, les dirigeants algériens continuent d’affirmer qu’ils soutiennent le droit à l’autodétermination. Ils affirment également que le règlement de la question du Sahara devrait être discuté dans un cadre international, comme les Nations Unies, plutôt que directement avec le Maroc.

Durant l’été 2021, les tensions entre les deux pays font la une des journaux en raison de la décision algérienne de rompre tous les liens diplomatiques avec son voisin.

Le problème du Sahara occidental : un conflit coûteux

Les tensions entre le Maroc et l’Algérie se sont considérablement intensifiées depuis décembre 2020 lorsque le Maroc a eu la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du royaume sur le territoire du Sahara occidental, et depuis lors, l’Algérie semble de plus en plus isolée sur le plan diplomatique. En mars dernier, le régime algérien a subi une nouvelle défaite lorsque l’Espagne a exprimé son soutien au plan d’autonomie du Maroc pour le Sahara occidental.

Les attaques verbales se sont dernièrement amplifiées. En effet, l’ambassadeur marocain aux Nations Unies, Omar HILALE a soutenu l’autodétermination de la région de Kabylie, en réponse au soutien algérien au Front Polisario. Cette position a rendu les dirigeants algériens furieux, entraînant le rappel de l’ambassadeur d’Algérie au Maroc, la fermeture de l’espace aérien algérien aux avions marocains et le refus de l’Algérie de renouveler le contrat du gazoduc Maghreb-Europe, qui fournissait du gaz à l’Espagne via le Maroc.

D’un autre côté, ce conflit influence la relation du Maroc et de l’Algérie avec les autres pays du Maghreb. La Tunisie a toujours adopté une position de neutralité dans le conflit saharien. Néanmoins, en juillet 2022, le Président tunisien Kaïs SAÏED a accueilli le chef et Président du Front Polisario, Brahim GHALI lors du TICAD 8 (Tokyo International Conference on African Development). Le Maroc a rappelé son ambassadeur à Tunis et n’a pas participé à la conférence. Le geste du Président Kaïs SAÏED a souligné combien il est difficile pour la Tunisie d’abandonner l’Algérie en faveur du Maroc. L’Algérie fournit environ deux tiers du gaz naturel dont la Tunisie a besoin, ainsi que d’importants volumes d’électricité.

Un rapport du FMI[1] estime que le PIB du Maghreb en 2017 aurait dépassé 360 milliards de dollars ce qui serait comparable au PIB de l’Afrique du Sud, des Émirats arabes unis ou de la Norvège. Un Maghreb uni avec des accords en matière de commerce et d’investissement serait bénéfique aux peuples de la région qui pourraient bénéficier d’un pouvoir d’achat plus fort et de meilleures infrastructures.

Sahara occidental : Le Maroc change de stratégie

Au cours de ces derniers mois, le Royaume du Maroc a changé de posture diplomatique. Ce dernier veut apparaître comme un interlocuteur fiable dans les relations internationales pour isoler le Front Polisario, en se mettant dans la légalité.

Le pays s’engage alors dans un partenariat stratégique avec les États-Unis, aboutissant aux accords d’Abraham et à la reconnaissance officielle des relations avec Israël. Dernièrement, le Roi du Maroc Mohammed VI s’est déplacé en Chine et en Russie. La visite en Russie a permis de conclure un accord de coopération sur l’énergie nucléaire civile entre les deux pays.

Des relations froides entre la France et le Maroc

La France n’est plus le partenaire privilégié du Maroc. Alors que le pays était habitué à des relations privilégiées avec la France, les relations se sont détériorées sous la présidence d’Emmanuel MACRON, celui-ci se concentrant davantage sur les relations franco-algériennes. Par ailleurs, le Maroc joue un rôle nouveau en Afrique sub-saharienne. Depuis plus de 10 ans, le Royaume du Maroc a accéléré ses partenariats avec des pays d’Afrique sub-saharienne. Il a ainsi contribué à son développement et est devenu le premier investisseur en Afrique de l’Ouest. Le Royaume a même devancé les entreprises françaises sur les marchés publics ou sur les marchés bancaires dans la région. Cette influence grandissante du Maroc en Afrique sub-saharienne et l’établissement de nouveaux partenariats stratégiques (États-Unis, Russie, Israël, Allemagne, Espagne, etc.) préoccupent la France.

Le Royaume du Maroc reproche quant à lui à la France son silence concernant la question du Sahara occidental. La position française est perçue comme un acte inamical mais elle traduit en réalité un désaccord de fond entre les deux pays. En effet, la France a pour volonté de ménager l’Algérie et ne veut pas adopter de position tranchée sur la question.

Enfin, la récente décision française de diviser par deux le nombre de visas accordés aux ressortissants marocains a fait un tollé auprès de l’opinion publique marocaine. Elle a alimenté le sentiment antifrançais dans toutes les couches sociales marocaines, alors que le blocage ciblait particulièrement les élites marocaines (artistes, hauts responsables, professeurs…). Aujourd’hui, malgré un déficit français concernant l’exportation automobile vers le Maroc, la France reste le deuxième partenaire économique du Maroc, après l’Espagne, et la coopération sécuritaire se poursuit entre les deux pays dans une courtoisie froide.

Le Maroc et la stratégie des énergies renouvelables.

En décembre 2021, l’Union européenne (UE) a adopté une stratégie de décarbonation concernant le secteur de l’énergie en Europe et concernant sa chaîne d’approvisionnement mondiale. Ainsi, d’ici 2030, l’UE devra réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55%, et elle a pour objectif d’être totalement décarbonée d’ici 2050. Cette décision favorise le Maroc. Ce dernier, n’ayant ni pétrole ni gaz, a développé depuis des années les énergies renouvelables (solaires et éoliennes). Aujourd’hui, 37% de l’énergie au Maroc vient des sources renouvelables. En 2030, ces dernières représenteront 57% de l’énergie marocaine. Par ailleurs, la crise russo-ukrainienne a encouragé le Royaume à revoir ses ambitions à la hausse et vise désormais un quota de 60 à 70% d’ici 2030. L’Algérie réfléchit aussi à cette alternative et l’Égypte est avancée sur ce sujet. Ainsi, la question des énergies renouvelables est devenue un enjeu crucial au Maghreb. Le pays qui aura une énergie renouvelable de qualité et compétitive en termes de coût pourrait être “le maître de demain”.

[1] KIREYEV, Alexei. NANDWA, Boaz. OCAMPOS, Lorraine. SARR, Babacar. AL AMINE, Ramzy. AUCLAIR, Allan Gregory. CAI, Yufei. DAUPHIN, Jean-François. “Economic Integration in the Maghreb: An Untapped Source of Growth”. International Monetary Fund, February 2019.

À propos du comité

Comité Afrique

Créé en 2011, le Comité Afrique a pour ambition l’émergence d’une réflexion relative aux enjeux de sécurité et de défense ainsi que sur les questions d’un prisme économique, diplomatique et culturel du continent africain. 

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