[INTERVIEW] de Gilles Pécout | Ambassadeur de France en Autriche

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[ INTERVIEW ]

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GILLES PÉCOUT | AMBASSADEUR DE FRANCE EN AUTRICHE

Propos recueillis par Paul Kragen, responsable de la DI Jeunes IHEDN en Autriche – Le 30 juillet 2021, Vienne (interview réactualisée le 30 novembre 2021).
Les illustrations sont propriété de l’ambassade de France en Autriche

À propos de l'invité

Gilles PECOUT

Historien de formation, Gilles Pécout a été professeur d’université, directeur du département d’Histoire de l’Ecole Normale Supérieur de Paris et recteur d’académie, dont celle de Paris et de la région académique d’Île de France. Il a été nommé ambassadeur de France en Autriche en septembre 2020.

À PROPOS DE L’INTERVIEW

Pour les Jeunes IHEDN, l’ambassadeur Gilles Pécout éclaire sur l’état de la relation franco-autrichienne, la place de l’Autriche au sein de l’Europe et le sentiment d’appartenance à l’Union européenne.

INTERVIEW

Les Jeunes IHEDN : Quel est l’état actuel de la relation franco-autrichienne ?

Gilles PÉCOUT : Nous considérons que la relation franco-autrichienne / austro-française est une relation adulte. Ce qui signifie qu’elle est désormais arrivée à une situation positive et ce dans de nombreux domaines et à tous les niveaux.

D’abord, la relation diplomatique en témoigne puisque les points de convergence l’emportent largement sur les points de divergences. Ce ne fut cependant pas toujours le cas, et l’histoire récente nous conduit à bien mettre en perspective cette relation. Ainsi, s’il y a quelques années, les conditions de politique intérieure en Autriche ont amené la France à se positionner avec prudence face à la coalition notamment vis-à-vis du traitement des thèmes européens [coalition entre les conservateurs de l’ÖVP et l’extrême-droite FPÖ qui a duré de 2017 à 2019], ce n’est évidemment plus le cas avec l’actuelle coalition entre les conservateurs et le parti des Verts.

Nous observons en conséquence un alignement général des positions en termes d’enjeux géopolitiques internationaux, l’un des cas les plus probant étant sans doute les positions communes concernant la Méditerranée orientale ou le Caucase.

De même, au niveau du sommet des exécutifs, nous assistons à une intensification des contacts au sommet des appareils étatiques et exécutifs respectifs. L’ancien chancelier Sebastian KURZ s’était par exemple rendu à Paris ; certes dans un contexte particulier, celui des attentats qui ont frappé l’Autriche et la France en automne 2020. Ces crises ont donc favorisé un renforcement des relations. Mais au-delà des raisons conjoncturelles liées à la crise, l’alignement de plus en plus clair de l’Autriche sur les positions de l’UE expliquent ces bonnes relations. Ainsi, le nombre de déplacements du secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes Clément BEAUNE en Autriche est particulièrement flagrant, puisque que c’est le pays dans lequel il s’est rendu le plus souvent, mis à part l’Allemagne, pour rencontrer son homologue la ministre Karoline EDTSTADLER. Quant au ministre des Affaires étrangères, Alexander SCHALLENBERG, sa parfaite connaissance de notre pays et de notre langue est positivement significative.

Une relation duale se mesure également à l’aune des rapports économiques et commerciaux. Ils sont solides, même si nous constatons une dissymétrie dans la relation commerciale : la France n’est que le 10e fournisseur de l’Autriche, il y a donc encore des parts à gagner.

Il n’en reste pas moins que des divergences continuent de séparer Autrichiens et Français. Sur des questions de souveraineté, et surtout et de façon radicale sur le nucléaire militaire et civil. De l’extérieur, on n’a pas forcément conscience de l’énormité du fossé qui sépare l’Autriche de la France sur cette question. L’Autriche n’est pas opposée au débat sur l’autonomie stratégique, à condition de ne surtout pas parler du nucléaire, qu’il s’agisse de son usage civil ou militaire. Il s’agit donc d’un sujet extrêmement sensible. En revanche, même si la neutralité est durablement inscrite dans la constitution et si l’opinion y est très attachée, en la matière l’Autriche sait faire des pas avec son armée pour participer à des opérations de formation et d’intérêt européen commun, comme en Afrique.

L.J.I. : Quels projets souhaitez-vous mener durant votre mandat ?

G.P. : Les projets d’un ambassadeur sont avant tout ceux de son ministère et de l’Etat qu’il sert. En premier lieu, il nous est bien entendu demandé de renforcer la relation bilatérale dans le sillage du constat positif que je viens de dresser. Ensuite, à l’aube de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, il s’agit de renforcer cette relation autour, notamment, de certains enjeux européens, les deux orientations majeures étant la protection de l’environnement et la transition numérique. Ma mission est donc de décliner ces orientations autour des réalités autrichiennes.

Plus spécifiquement, j’ai été chargé de renforcer la relation culturelle et artistique entre la France et l’Autriche. Du fait de mon parcours professionnel précédent d’universitaire et de recteur chancelier de Paris, il m’a également été demandé de renforcer la coopération scolaire, universitaire et scientifique, autour de l’enjeu cardinal qu’est celui de la jeunesse. La jeunesse qui étudie, et la jeunesse qui cherche un emploi. Au sein de l’Europe, que peut apporter la relation franco-autrichienne dans cette question ?

L’un de mes projets très précis est par exemple d’augmenter le nombre d’étudiants français en Autriche. De même, j’œuvre pour la coopération entre établissements scientifiques et universitaires. L’Autriche est un pays attractif, très présent dans les Balkans et en Europe centrale, qui pourrait par exemple tout à fait héberger des antennes de grandes écoles françaises sur son territoire, notamment dans le domaine des études commerciales ou des sciences de l’ingénieur.

L.J.I. : Je me permets de rebondir sur ce dernier point. Vous avez été, entre autres, recteur de l’académie de Paris [entre 2016 et 2020], y’a-t-il des éléments dans le système éducatif et/ou universitaire autrichien dont la France pourrait s’inspirer ?

G.P. : L’un des éléments extrêmement positifs du système éducatif autrichien est la place de l’enseignement professionnel et le statut de l’alternance. Les ponts entre les entreprises et le système éducatif sont plus importants qu’en France ou qu’en Allemagne. De plus, le statut d’alternance est plus répandu, en partie car les entreprises sont très impliquées dans la formation des jeunes. De façon générale, l’enseignement professionnel est bien considéré, il s’agit moins d’une voie par défaut comme cela peut parfois être le cas en France. Cela représente clairement un atout dans l’insertion professionnelle des jeunes.

Dans un autre registre, l’Autriche a un système d’apprentissage des langues efficace, notamment quant à l’apprentissage de l’anglais. Le nombre d’étudiants autrichiens apprenant le français est également considérable – l’Université d’Economie de Vienne (WU) ou l’Académie diplomatique ont une chaire francophone.

De façon plus globale, je pense que l’intérêt des systèmes éducatifs est de favoriser les échanges de bonnes pratiques, chaque pays disposant d’atouts dont d’autres pays peuvent s’inspirer. En France, nous avons par exemple un système scolaire pour la petite enfance, nos classes maternelles, très performant que d’autres pays nous envient.

L.J.I. : Selon vous, quelle est la place de l’Autriche en Europe et quels sont les domaines dans lesquels elle exerce son influence ?

G.P. : Tout d’abord, l’Autriche occupe en Europe une place importante d’un point de vue historique, culturel, et artistique. L’Autriche dispose également d’une certaine influence en Europe de l’Est et dans les Balkans. C’est un pays qui cultive la réflexion par sous-ensemble d’affinitaires, notamment au niveau européen. L’Autriche se reconnait dans les « frugaux », dans le Slavkov (format de dialogue entre la République Tchèque, la Slovaquie et l’Autriche), elle dialogue également étroitement avec le groupe de Visegrad (Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie). Ce raisonnement permet une marge d’action géopolitique plus souple. L’Autriche a donc cette capacité à pouvoir parler plus facilement avec les pays d’Europe de l’Est ainsi qu’avec les Balkans. Et elle cultive son rôle d’intermédiaire entre ceux-ci et l’Europe occidentale : il n’y a actuellement pas de meilleure expertise occidentale sur les Balkans que celle de l’Autriche.

J’ajouterai par ailleurs qu’il n’y a aujourd’hui en Autriche plus de rejet de l’Union européenne comme cela a pu être le cas dans le passé, même s’il arrive que la thématique européenne soit utilisée à des fins de politique interne, comme pour les vaccins.

L.J.I. : Vous avez évoqué les Balkans, l’Autriche est incontestablement le pays au sein de l’UE qui se mobilise le plus pour leur intégration. Les positions françaises et autrichiennes sont-elles alignées sur ce sujet ?

G.P. : Sur le principe, elles le sont. La France a des positions favorables sur l’élargissement, il s’agit davantage d’une question d’agenda. En lien avec cette temporalité, les pays doivent faire les preuves de leurs propres réformes internes. La différence entre la France et l’Autriche réside dans le fait que cette dernière est pro-active sur les questions d’élargissement et soucieuse d’intégrer les Balkans le plus rapidement possible, alors que notre pays souhaite travailler avec plus de temps , même si la France vient d’adopter une « stratégie Balkans » qui est sans ambiguïté.

L.J.I. : Comment renforcer le sentiment d’appartenance à l’UE, notamment auprès des jeunes générations ?

G.P. : Durant le sommet social de Porto, le président Emmanuel MACRON a beaucoup insisté sur les questions sociales comme le salaire minimum européen ou la régulation du droit du travail. Ce sont indiscutablement des éléments qui permettent de renforcer le sentiment d’appartenance à l’Europe pour ceux qui travaillent, et parfois dans les conditions les plus modestes. A côté de cela, il est essentiel d’enseigner l’Europe et de transmettre ses valeurs. Se pose alors la question : quels éléments faut-il enseigner ? Une vraie réflexion est nécessaire pour comprendre la façon dont chaque pays s’approprie des thématiques européennes communes. En ce qui me concerne, je crois beaucoup en l’Europe des droits. De même, je crois beaucoup à la notion développée par Jürgen HABERMAS, du patriotisme constitutionnel. Au-delà du patriotisme national, nous devons nous poser la question : y-a-t-il en Europe la place pour une adhésion au Droit, à la Constitution, et plus précisément à une Europe des droits ? Le vrai sentiment d’appartenance européen interviendra lorsque tous les citoyens européens auront les mêmes droits, quel que soit leur pays et sauront que les droits et les valeurs de tous sont ceux de chacun dans nos 27 pays de l’Union européenne.

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