Les casseurs au sein des gilets jaunes, retour d’expérience d’un officier de gendarmerie (actes I A IV)

Apparu à la fin de l’année 2018, le mouvement des gilets jaunes a pris de court plus d’un observateur. Inédit par son apparence déstructurée et ses modes d’actions, il a focalisé l’attention politico-médiatique comme rarement dans l’histoire des mouvements de contestation contemporains. Largement commentées par des intervenants non spécialisés dans le maintien de l’ordre, les manifestations du samedi ont largement mis à contribution les forces de l’ordre (police et gendarmerie nationale) et de secours (pompiers et SAMU). Cet engagement sur le long terme de forces toujours plus nombreuses répondait à la violence croissante du mouvement dans la capitale mais également en province. Mécaniquement, il a induit des bouleversements dans le rythme d’emploi de ces unités, habituées à réagir, sur court préavis, aux événements pour mieux en assurer la sécurité. 
Officier de Gendarmerie, je commande un peloton d’intervention, c’est-à-dire une unité d’une vingtaine de militaires spécialisés dans le maintien de l’ordre. Ce dernier constitue un des quatre pelotons opérationnels de l’escadron auquel il est rattaché.
Basé en banlieue parisienne depuis juillet 2018, j’ai assisté à la naissance du mouvement (Acte I du 17 novembre 2018) et à son expansion (Actes II à V), je n’aborderai donc que les événements vécus à Paris avec mon unité. 
Ce tour d’horizon se concentre sur les quatre premiers actes du mouvement et notamment sur les événements toujours plus violents survenus au cours de ces samedis de mobilisation. 
L’objectif est bien d’offrir un point de vue original, basé sur une expérience vécue au plus près de ces samedis de mobilisation. Ce retour d’expérience est donc personnel et ne reflète pas la position de la Gendarmerie Nationale.
 

Auteur : lieutenant Alexis, membre du comité sécurité intérieure des Jeunes de l’IHEDN

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Ce texte n’engage que la responsabilité des auteurs. Les idées ou opinions émises ne peuvent en aucun cas être considérées comme l’expression d’une position officielle.

 
 
ACTE I (17 novembre 2018) : une journée de mobilisation populaire
 
Ce premier acte est caractérisé par l’inconnu face à une mobilisation a priori massive, non déclarée et souhaitant bloquer voire occuper les centres du pouvoir (palais de l’Elysée, Assemblée nationale…), les lieux symboliques de la capitale (avenue des Champs-Élysées, place de l’Étoile…) ainsi que le boulevard périphérique.
Face à une mobilisation désordonnée, non déclarée en préfecture, les autorités ont fait le choix d’un dispositif de contrôle de zone avec des unités réparties dans et autour de la capitale, prêtes à intervenir sur court préavis. Les forces de l’ordre (FO) ont pour objectif principal de protéger les emprises gouvernementales, au premier rang desquelles le palais de l’Élysée. Mon unité est placée en réserve au Nord-Est de Paris, à proximité immédiate d’une rampe d’accès au périphérique en cas de blocage de cet axe très fréquenté.
Engagés sur ce dernier pour évacuer des motards empêchant la circulation à proximité du Stade de France, nous sommes ensuite envoyés sur l’Assemblée nationale où nous retrouvons ces mêmes motards avant de dégager l’avenue des Champs-Elysées. En fin de journée, nous sommes employés place de la Concorde avant d’être redirigés vers les casseurs place Vendôme.
Les casseurs n’arrivent donc que tardivement sur site. Peu nombreux, ils poursuivent deux objectifs principaux :

  1. ralentir les forces de l’ordre en bénéficiant de l’aide des gilets jaunes (GJ) : mise en place de barricades sur les Champs-Elysées et sur Rivoli. Ce faisant, ils entraînent une partie des GJ qui participent à la mise en place des barricades dans un contexte pacifique. La tension monte vers 17H00. Les obstacles sont majoritairement composés des (trop) nombreuses barrières présentes sur les trottoirs des Champs-Elysées.
  2. s’en prendre aux magasins situés à proximité immédiate des rassemblements en profitant de la cohue générale. L’objectif est non moins de piller que de causer des dégâts matériels.

Dans le premier cas, la violence est surtout verbale et les provocations nombreuses. Les escadrons de gendarmerie présents sur zone rétablissent la viabilité de l’axe en dégageant les barrières et en repoussant les manifestants sur les trottoirs. La situation se tend lorsque le cortège de motards refait son apparition. Outre le désordre causée par l’arrivée soudaine d’une quarantaine de motos, le bruit des engins – magistralement orchestré par les plus adroits du guidon – gène considérablement la communication avec les manifestants et provoque des mouvements de foule aussi soudain qu’imprévisibles.
Dans le second cas, un groupe d’une soixantaine de jeunes hommes – âgés de 15 à 25 ans –  s’en est pris aux magasins de luxe de la place Vendôme avant d’en être chassé par les militaires de l’escadron.
Poursuivis par les gendarmes, ils s’enfuient en direction de l’Opéra tout en dégradant le mobilier urbain et les vitrines des magasins sur leur passage. Dans le même temps, ils érigent des barricades visant à ralentir nos véhicules tout en ouvrant les poubelles de verre pour jeter tout ce qui s’y trouve sur mes hommes. Nous les pourchassons sur trois kilomètres à pieds et en véhicules, ce qui nous ramène vers la place de la Concorde. Ils finissent par se fondre dans la foule des gilets jaunes et nous harcèlent sporadiquement jusqu’à 21h00. L’unité réalise une interpellation en début de soirée.
 
ACTE II (24 novembre 2018) : Paris brûle-t-il ? une montée des violences et une focalisation progressive sur les Champs-Élysées et la place de l’Étoile
Devant le caractère déstructuré de la mobilisation de l’Acte I, décision est prise de sanctuariser l’Assemblée nationale, les abords immédiats du palais de l’Elysée ainsi que la place de la Concorde. L’avenue des Champs-Elysées reste libre d’accès, les manifestants étant attendus au Champ de Mars.
Pour les gilets jaunes, l’objectif principal reste, au mieux la prise du palais de l’Elysée, au pire, l’occupation physique et médiatique des abords de ce dernier. Pour les contrer, les forces positionnées autour du Champ de Mars sont réorientées vers la plus belle avenue du monde.
Pour les casseurs / pilleurs, cette mobilisation représente une aubaine pour les mouvances radicales et les groupes de délinquants de la région parisienne qui viennent profiter de la situation pour s’en prendre aux FO et/ou piller/casser dans la capitale.
« L’adversaire » (terme générique désignant les personnes présentes sur place et pouvant s’opposer à l’action des FO, sans connotation) des FO est donc triple :

  1. Le mouvement des gilets jaunes

Dans la lignée de la semaine précédente, ces derniers sont majoritairement non-violents mais peuvent, sous le coup de la colère, suivre les mouvements de foule et notamment les groupes violents qui s’y dissimulent.
Les participants à ces manifestations sont pour la plupart des néophytes en termes d’organisation et de gestion des foules. Ils n’ont aucune expérience, aucun leader défini à suivre et ne disposent pas d’un service d’ordre à l’inverse des organisations syndicales telle que la CGT. Par sa masse, son inertie et l’absence de communication avec les autorités, elle est difficilement gérable par les FO.

  1. Les mouvements d’ultra qui forment la « nébuleuse »

Relevant des deux extrêmes politiques, ces derniers profitent du mouvement des gilets jaunes pour présenter et représenter leurs idées et les défendre plus ou moins violemment. De fait, ils sont relativement visibles et revêtent également le gilet jaune.
Ils disposent pour la plupart d’une expérience qui fait défaut aux gilets jaunes violents de la première catégorie : celle de l’opposition violente aux FO. Ils sont par conséquent difficiles à déceler et à appréhender et préfèrent ainsi éviter de porter sur eux tout équipement qui leur vaudrait une détention ou une saisie lors d’un contrôle d’identité. Le matériel le plus sensible est donc apporté en amont des rassemblements et dissimulé non loin des lieux de contestation.
Il peut également être « emprunté » aux différents magasins à proximité, à l’image du Décathlon avenue Wagram qui voit des groupes violents se saisir des boules de pétanque vendues sur place pour s’en servir contre les FO.
Leur objectif est moins de protester que de s’en prendre aux forces de l’ordre en se cachant dans la foule de gilets jaunes et de casseurs. Ils visent systématiquement les symboles du capitalisme et de l’État.
Ceux qui choisissent la voie de la contestation violente sont très bien équipés et disposent :
Au niveau défensif : d’une protection quasiment équivalente aux forces de l’ordre avec, de haut en bas : casque intégral de moto ou de sport extrême, protection type moto pour le tronc, masques à gaz à cartouche filtrante, gants, jambières.
Au niveau offensif : d’un éventail extrêmement varié d’armes par destination allant du pétard (blessure par traumatisme sonore) aux bouteilles d’acide, boules de pétanque… La majorité des projectiles est néanmoins récupérée sur place : mobilier urbain (pavés, grilles de métro…) équipement divers (trottinettes, barrières…), bouteilles de verre récupérées dans les poubelles alentours…

  1. Les casseurs et pilleurs hors mouvements organisés

  On retrouve ici l’ensemble des casseurs et pillards qui œuvrent en marge des rassemblements des gilets jaunes. Constitués de bandes de jeunes (entre 16 et 28 ans), leur équipement est variable mais reste généralement léger.
L’effort de protection porte sur la neutralisation des effets des gaz lacrymogènes : généralement écharpes mais aussi masques à gaz ou anti-poussière ; lunettes de piscine ou de soleil, gants pour relancer les pots lacrymogènes sans se brûler ou ériger des barricades. Ces derniers sont majoritairement issus de la région parisienne et viennent se mêler à la foule pour faire leurs courses et s’amuser en attaquant les FO.
Leur objectif est simple : se cacher parmi la foule et, selon les opportunités (magasins alentours, volume de FO sur site…), s’en prendre aux FO et/ou dégrader les boutiques et le mobilier urbain. Si le mobilier urbain sert principalement de projectiles ou de barricades, les magasins sont systématiquement pillés.
Lors de cet acte, la violence franchit un nouveau palier. Mon unité se trouve quant à elle à l’Assemblée nationale. Elle participe à l’ingrat mais nécessaire dispositif de sécurisation du Parlement avec un Dispositif de retenue autonome du public (DRAP). Mise en place à 06H00, elle assistera de loin aux violences sur les Champs, renseignant le reste du dispositif sur les mouvements de gilets jaunes – pacifiques autour de l’Assemblée – avant d’être relevée à 22H30 et de participer le lendemain à la sécurisation des Champs-Elysées. Techniquement aisée, cette mission se révèle frustrante pour l’ensemble des militaires qui assistent – impuissants – sur leurs téléphones portables aux violences commises à l’encontre de leurs camarades et des nombreuses dégradations.
Le lendemain, l’ambiance est morose alors que l’unité arpente les lieux d’affrontements de la veille. Les lieux sont déserts mis à part quelques journalistes et les services de nettoyage qui tentent de redonner une dignité à l’avenue dégradée.
 
ACTE III (1er décembre 2018) : La guerre de l’Étoile – marteaux contre lanceurs d’eau
 
Adoptant un dispositif défensif, le préfet de Paris décide de mettre en place un dispositif de type fan zone sur l’avenue des Champs-Elysées afin d’y éviter tout trouble à l’ordre public Tous ceux qui souhaitent accéder à la plus belle avenue du monde sont donc fouillés en amont. Les armes par destination sont systématiquement saisies et les possesseurs de matériel de protection voient leur identité relevée.
Face à ce dispositif, la nébuleuse se rassemble sur la place de l’Étoile dès 8h00 quand elle débutait son action vers 10h00 les semaines précédentes. Ils constituent une partie non négligeable des gilets jaunes présents autour de l’Arc de Triomphe. Mon unité est quant à elle en réserve à proximité de la place de la Madeleine.
Nous suivons les événements via le réseau radio et nos portables. A 8h50, le message tombe : les  CRS alors au contact sont attaquées à coups de marteaux et de barrières de chantier. Les unités placées autour du Champ de Mars sont envoyées sur place. La confrontation durera la journée, les casseurs mais également les gilets jaunes pacifiques souhaitant occuper la place de l’Etoile, symbole de contestation d’autant plus fort que les médias – au premier rang desquels BFM TV et CNEWS –  sont installés sur un balcon donnant directement sur la place : la couverture médiatique est donc maximale.
Ils en profitent également pour saccager les avenues partant de la place et notamment l’Avenue Kléber. Ils sont refoulés des avenues environnantes à plusieurs reprises mais la maîtrise de ces axes n’est assurée qu’à compter de 16h00 environ lorsque la réserve autour du Champ de Mars est employée.
Leur liberté d’action sur place de 8h00 à 16h00 est due à de multiples facteurs :
1/ Présence de nombreux gilets jaunes autour de la gare Saint-Lazare.
2/ Manifestation de collectifs contre les violences policières (Justice pour Adama ; Urgence, notre police assassine…) aux abords de cette même gare, mouvement reconduit chaque samedi matin.
3/ Maintien d’une réserve de FO aux abords du Champ de Mars, lieu annoncé du rassemblement des gilets jaunes à 14h00 le même jour. Ce site, qui devait constituer le principal point de rassemblement des gilets jaunes n’a finalement concentré qu’une infime partie des manifestants, la majorité s’étant rassemblé sur les Champs-Elysées et la place de l’Étoile. Cette réserve, partiellement utilisée pour contenir les casseurs sur la place de l’Étoile, sera complètement employée vers 16h00.
4/ Dispositif des FO principalement défensif très consommateur en unités pour tenir les points stratégiques (Assemblée nationale, avenue des Champs-Elysées, Concorde, palais de l’Élysée).
Les gilets jaunes et les membres de la nébuleuse refusent de se soumettre à la vérification des sacs et tentent d’y pénétrer de force via les rues adjacentes. S’ils sont repoussés, des affrontements plus ou moins violents éclatent autour du dispositif.
En désespoir de cause, les groupes les plus violents se rabattent sur les magasins et les rues alentours notamment autour de la Madeleine, mobilisant ainsi un grand nombre d’unités, dont la mienne, à partir de 16h00. Face à des groupes de casseurs très mobiles et provocateurs, nous tirons peu de grenades lacrymogènes – 37 au total ce jour-là. Immobilisés par la crevaison d’un de nos véhicules, nous intervenons sur des groupes incendiant des voitures et faisons deux interpellations de casseurs nous prenant à partie.
L’arrivée de renforts sur les avenues adjacentes accentue le fractionnement de cette foule en nombreux groupes de 50 à 400 casseurs / pillards fonctionnant – à ma connaissance – sans structure centralisée ni coordination mais en s’adaptant aux mouvements des uns et des autres et des FO. Cela leur est d’autant plus aisé que les chaînes d’informations en continu et les réseaux sociaux les informent en temps réel et de façon relativement précise sur l’évolution de la situation. Les éléments pacifiques oscillent quant à eux entre rejet, indifférence et soutien aux casseurs.
 
ACTE IV : se ré-articuler pour gagner la guerre de l’ Étoile
 
Face à la violence et à la mobilité des adversaires rencontrés lors des deux derniers actes, et notamment lors de l’acte III, décision est prise de modifier le dispositif en profondeur.
Le nouveau schéma repose sur cinq points :
1/ La place de l’Étoile, symbole de la violence des gilets jaunes, doit être sanctuarisée. Il en va de la crédibilité du gouvernement mais également de la France à l’étranger.
2/ Les FO devront être mobiles. Pour cela, ces dernières seront positionnées à proximité immédiate des points de rassemblement supposés et/ou annoncés. 14 véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) mais également des moyens spéciaux (bulldozers EGAME de la Police et Engins Lanceurs d’Eaux) seront en soutien immédiat des unités au sol.
Les détachements d’action rapide, (DAR) composés uniquement de policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) et de la brigade rapide d’intervention (BRI) très mobiles, sont créés afin de contrer les casseurs.
3/ Les FO devront accepter le contact avec l’adversaire, quand bien même la doctrine en vigueur privilégie le maintien à distance de ce dernier. Cela permettra de le fixer – de l’empêcher de se déplacer – afin d’entraver la capacité de nuisance des groupes de casseurs et de procéder à des interpellations.
4/ La zone Concorde, Assemblée nationale, Grand Palais et palais de l’Élysée demeure sanctuarisée.
5/ La défense dans la profondeur qui voit la gendarmerie départementale contrôler au plus loin des adversaires potentiels, saisissant quantités d’armes par destination aux péages et trains en partance pour Paris. Cela a permis de désarmer voire d’interpeller des individus violents en amont des manifestations, évitant ainsi certains heurts.
 

Acte IV (Olivier Ortelpa, wikimedia commons)


L’escadron est placé en réserve avenue Marceau dès 07H30. Le déploiement de forces paraît massif autour et sur la place de l’Etoile. Au delà des effectifs, le dispositif gagne surtout en cohérence. Géré par un seul décideur – un lieutenant-colonel de gendarmerie disposant de huit escadrons et de moyens spéciaux (VBRG et engins lanceurs d’eau notamment) – la synergie des forces est démultipliée et la prise de décisions plus rapide. Nous disposons par ailleurs d’une réquisition couvrant l’ensemble de la capitale ce qui nous permet de procéder à la fouille des sacs et au contrôle des passants.
Dès 9h00, la foule de GJ se masse en haut des Champs-Elysées. Si l’ambiance est bon enfant, les casseurs se sont mêlés à eux et s’en prennent ponctuellement aux gendarmes qui leur interdisent l’accès à la place de l’Étoile. Sous l’impulsion de groupes violents, la colère monte, les pierres commencent à pleuvoir. Après sommations, des grenades lacrymogènes sont tirées.
Repoussés et moins regroupés que le samedi précédent, ils s’en prennent à quelques devantures de magasins. Tout au long de la journée, ils tenteront de pénétrer dans le magasin Orange et le drugstore Publicis et en seront chassés par les FO à de nombreuses reprises. Ces deux magasins seront malgré tout mis à sac au cours de l’après-midi.
A partir de 11h00, d’importants groupes violents remontent vers l’Arc de Triomphe via les autres avenues y menant. Ils sont arrêtés par des escadrons de gendarmerie prépositionnés autour de l’Étoile et dont la mission vise à empêcher toute remontée d’adversaire sur le site saccagé la semaine précédente. Des affrontements violents s’y déroulent de 11h00 à 17h00 environ. L’avenue Marceau est ainsi occupée par quelques 300 casseurs et pillards. A la vue des militaires de l’escadron, ils dépavent l’avenue et nous attaquent en groupe.
Ils s’en prennent également aux boutiques qui les intéressent, à savoir les enseignes de restauration (Prêt à manger) et de vente de vêtements. Les affrontements durent six heures et certains escadrons sont dégagés avec l’aide des VBRG, qui ont un réel impact psychologique sur l’adversaire. Ces engins constituent une plateforme d’appui-feu protégée et un engin d’aide à la mobilité grâce à leurs lance-grenades et la présence d’une lame dozer à l’avant pour détruire les barricades sans risque. L’escadron sera ainsi dégagé à deux reprises grâce à ses blindés soutenus par des unités au sol, permettant également le ravitaillement en grenades lacrymogènes de l’unité.
Conscient de leur supériorité numérique, les casseurs reviennent malgré tout au contact, occupant le terrain et caillassant les gendarmes malgré les avertissements réalisés au haut-parleur des véhicules. Rapidement, les grenades lacrymogènes s’avèrent relativement inefficaces face à des adversaires protégés des gaz. Devant la violence des casseurs, l’unité doit avoir recours aux grenades de désencerclement (DMP), GLI-F4 ainsi qu’au lanceur de balles de défense (LBD).
Bilan de la journée : 496 grenades tirées dont 37 F4 ainsi que 54 munitions de LBD, « seulement » 4 blessés dans mon peloton malgré la pluie de pavés reçue, aucun chez les casseurs. Face à des adversaires violents et protégés des gaz lacrymogènes, les armes de forces intermédiaires (LBD, DMP et GLI F4) semblent les seuls moyens à même de rétablir l’ordre en sécurité.
Un de mes personnels reçoit ainsi un pavé d’un kilo sur le pied ; évacué, il sera arrêté pour 15 jours quand un de mes adjoints recevra un pavé du même type sur le casque. Bilan : entorse cervicale et 20 jours d’arrêt.
 
BILAN
De lourdes conséquences opérationnelles
Le mouvement des gilets jaunes a bouleversé le rythme opérationnel des unités, notamment en gendarmerie. A l’image de l’opération Sentinelle, il a obligé la gendarmerie mobile à annuler des stages d’entraînement et de recyclage de ses unités.
Ce dernier a également pesé sur le cycle de remise en condition opérationnelle et de repos avec le rappel de tous les escadrons non disponibles dès l’Acte III (en permissions, repos ou en missions permanentes). Les forces armées ont notamment repris certaines gardes statiques de lutte anti-terroriste les week-end afin de permettre un plein engagement des gendarmes mobiles.
Le cumul horaire est important (pour mon peloton d’intervention : 50h du lundi au vendredi puis 14h le samedi, 10h le dimanche… le reste de l’escadron ayant travaillé 10h de moins au cours de la semaine). A cela, s’ajoutent les deux jours de repos qui doivent être pris de façon hebdomadaire et ne peuvent être pris pour cause de mobilisation des gilets jaunes. Etant militaire, les gendarmes ne sont pas soumis aux trente-cinq heures.
Les Actes IV et V ont également mobilisé l’ensemble des gendarmes départementaux et spécialisés. L’impact sur le rythme des unités s’est fait d’autant plus sentir que sur 109 escadrons en France, 108 étaient déployés sur le territoire lors des Actes IV et V.
Sur la plaque parisienne, les Acte III et suivants mobilisaient quasi intégralement des gendarmes mobiles et les unités de la préfecture de police (compagnies d’intervention, compagnies de sécurité et d’intervention, BAC et BRI, brigades d’Information de voie publique…).
Conséquences doctrinales, adaptation de la posture des FO
Ces deux actes ont également vu les FO accepter le contact physique avec les casseurs, l’objectif poursuivi étant bien d’interpeller un maximum de fauteurs de troubles.
A priori, trois facteurs expliquent la baisse des violences constatée à compter de l’Acte V :
– Les nombreuses interpellations ont dissuadé une partie des casseurs de participer aux actes suivants
– Une partie de la nébuleuse et des casseurs s’est lassée, d’autant que ses objectifs sont remplis pour une part non négligeable de ses membres, à savoir faire ses courses (de Noël mais pas que…)
– La moindre mobilisation des GJ, anticipée mais également constatée en direct sur les chaînes d’information en continu, a dissuadé les casseurs professionnels et la nébuleuse de participer aux rassemblements. Conscients qu’ils seraient plus facilement repérés, que les FO seraient moins gênées par la foule des GJ et que l’interpellation était désormais la règle, ils ont préféré adopter une position attentiste et suivre l’évolution du mouvement et sa reprise éventuelle en janvier…
En l’état, janvier a  vu la mobilisation des gilets jaunes faiblir à Paris (40 à 50 % de manifestants en moins par rapport à 2018) mais se maintenir en province avec un niveau de violence accru. Certains groupes extrémistes venant de loin semblent avoir choisi d’opérer en province, où les effectifs de FO sont moins importants que dans la capitale.
Au vu de la durée du mouvement et de l’abandon relatif de Paris en tant qu’arène privilégiée de la contestation au profit d’une mobilisation et de violences en province, la disponibilité des escadrons le week-end s’impose afin de répondre au besoin opérationnel dans la durée.
Enfin, impossible d’évoquer les gilets jaunes sans aborder la thématique des moyens employés par les forces de l’ordre.  La polémique quant à l’éventuel retrait des LBD ou de tout autre moyen de force intermédiaire ou artifice est très mal vécue par les unités de gendarmerie qui y voient une dégradation des moyens à leur disposition. Au-delà de tout débat partisan, il convient ici de rappeler que chaque militaire porteur du LBD est formé à son utilisation, fait l’objet d’un recyclage. Chaque commandant de peloton dispose d’un dossier rassemblant les qualifications de chacun. Un personnel non formé ne tirera donc pas au LBD. Il en va de même pour les grenades et autres munitions utilisées.
Outre un cadre légal contraignant concernant l’emploi de ces munitions, il faut souligner la retenue et la maîtrise des militaires confrontés à des situations d’une extrême violence.
Pour ma part, un retrait du LBD serait dangereux pour les forces de l’ordre. Cette arme de force intermédiaire constitue une réelle plus-value face à des individus violents et protégés. La seule alternative en cas de retrait de cette arme serait le contact physique – voire, ultime recours, l’usage de l’arme de service – avec des risques accrus de blessures pour les parties en présence du fait du nombre d’acteurs impliqués et de la confusion inhérente à ce type d’affrontement. A distance, les militaires agissent en sécurité et visent un seul fauteur de troubles.
Le coût humain : des blessures légères et moyennes, qui impactent les unités
De nombreux blessés (heureusement légers pour la plupart) sont également à déplorer,  obérant tout de même la capacité opérationnelle des unités. Les blessures sont ainsi de trois types :
– Contusions et fractures dues aux jets de projectiles,
– Traumatismes sonores dus aux jets de pétards par les manifestants,
– Brûlures par jet d’acide ou de produits enflammés (beaucoup plus rare ici, la majorité des armes utilisées à l’encontre des FO ne relevant pas de cette catégorie).
 
Pour approfondir:
http://www.milinfo.org/2016/01/trm-2000-drap-au-1-43-perfex.html
https://www.youtube.com/watch?v=s5n6V0ZfZkA
Article de H. WINTREBERT paru dans le Parisien du 7 décembre 2018
 
 

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