DE TOP GUN AU GROUPE AÉRIEN EMBARQUÉ FRANÇAIS

 

DE TOP GUN AU GROUPE AÉRIEN EMBARQUÉ FRANÇAIS :

l’aéronautique navale entre fiction et réalité

 
 

La force aéronautique de la marine nationale, plus communément appelée aéronautique navale, ou aéronavale, est dans l’imaginaire collectif sujette à de nombreux fantasmes, en grande partie générés par les productions du cinéma hollywoodien. Qui n’a pas en mémoire le film mythique Top Gun de Tony Scott, sorti sur fond de guerre froide ? Ode à l’Amérique, ode au talent de pilotage, au pilote tête brûlée et séducteur, ce film qui a façonné l’image du pilote d’élite de l’aéronavale, aux États-Unis et probablement aussi dans le monde entier.

 
 
 

 

Par Marine BINET, membre du comité aéronautique et espace des Jeunes de l’IHEDN

 

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Les illustrations de cet article proviennent du ministère des armées.

 
 
 

L’aéronautique navale en France : le groupe aérien embarqué

 
Cette analyse débute par une lapalissade : la composante aéronautique de la marine nationale est avant tout composée de marins. Ceux-ci vivent en mer, agissent en mer, adoptent un mode de pensée propre à cet environnement particulier et, au-delà de cela, savent piloter. Il serait cependant  particulièrement réducteur de résumer la chasse embarquée à ses pilotes. Elle a la spécificité d’évoluer au sein d’un groupe aéronaval en trois dimensions : aérienne (aéronefs), de surface (porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, frégates d’escorte, pétrolier) et subaquatique (sous-marin nucléaire d’attaque). Ce travail d’équipe constitue la richesse de l’aéronautique navale.
L’idée d’une composante aéronautique au sein de la marine nationale est loin d’être récente. On en observe les premières traces lors de la campagne d’Égypte en 1798, où Napoléon Bonaparte embarque à bord du navire Le Patriote une compagnie d’aérostiers, un ballon et son matériel. Le navire est coulé lors de la bataille navale d’Aboukir. Par la suite, l’Empereur se détourne définitivement des aérostats.
L’aéronautique navale telle que nous la connaissons est le produit de la fusion, le 19 juin 1988, des forces de l’aviation embarquée et de l’aviation de patrouille maritime. Placée sous le commandement d’un officier général de marine (ALAVIA) responsable de l’administration, de l’entraînement et de la mise en conditions opérationnelle de ses éléments, la force maritime de l’aéronautique navale compte dans ses effectifs plus de 6 800 hommes et femmes (dont 376 pilotes[1]) soit l’équivalent de l’équipage d’un unique porte-avions nucléaire américain.
Si nous nous concentrons sur la composante purement aéronautique des marins du ciel, le groupe aérien embarqué (GAé) sur le porte-avions Charles de Gaulle est formé des unités des bases aéronautiques navales de Landivisiau et Lann-Bihoué. Il se compose de trois flottilles de combat (11F, 12F, 17F) représentant un total de 42 Dassault Rafale et d’une flottille de guet aérien sur Gruman E2C-Hawkeye (4F). Il est complété par deux hélicoptères de sûreté Dauphin « Pedro », veillant sur les manœuvres d’appontage des pilotes et d’un NH90. Le GAé assure des missions de dissuasion, de projection de puissance et de maîtrise de l’espace aéro-maritime.
 

La force maritime de l’aéronautique navale et le cinéma

 
L’imaginaire collectif et les idées reçues sur l’aéronautique navale, ont majoritairement été façonnés par l’industrie cinématographique. Le cinéma français, qu’on aborde ici les documentaires ou les œuvres de fiction, a relativement peu traité du sujet.
Parmi les quelques œuvres notables on retrouve Les suspects, réalisé par Jean Dréville en 1957. Cette enquête mettant en scène le porte-avions Arromanches a pu être réalisée grâce aux conseils des techniciens du contre-espionnage et avec le concours de la marine nationale.
En 1965, le franco-italien Le Ciel sur la tête d’Yves Clampi est lui tourné à bord du porte-avions Clémenceau. Il a par la suite inspiré le film américain Nimitz, retour vers l’Enfer (1980). Peinant à trouver son public en France, c’est donc outre-Atlantique qu’il faut se tourner pour offrir la part belle aux ailes de la mer. Entre 1929 et 1986, date de sortie de Top Gun, pas moins de 22 longs-métrages ont été réalisés à bord de porte-avions américains.
À la télévision, Les Têtes Brûlées (1976) mettent en scène une escadrille de pilotes de chasse américains pendant la Seconde Guerre mondiale. La série rencontre un véritable succès international et séduit même le public français.
Les États-Unis, poussés par le contexte géopolitique tendu de l’après-guerre (guerre froide, guerre du Vietnam), ont très tôt saisi le potentiel du cinéma et l’ont transformé en véritable outil d’influence, tant nationale qu’internationale. On parle aussi de soft-power.
C’est dans ce contexte que sort le film Top Gun. L’année précédente a vu Mikhaïl Gorbatchev accéder au pouvoir en URSS. Les négociations américano-soviétiques sur la limitation des armes spatiales, des missiles intercontinentaux et intermédiaires s’enlisent. Celles sur le règlement des conflits régionaux en Afghanistan, Angola, Cambodge, Éthiopie et Nicaragua s’amorcent. Dans une guerre de l’image permanente face à l’URSS, il était temps pour les américains de sortir une nouvelle arme de séduction massive.
Dans Top Gun, Tom Cruise incarne un brillant pilote de la marine américaine : Pete Mitchell dit Maverick, embarqué sur l’USS Enterprise. Dans la culture américaine, le terme maverick apparaît pour la première fois en 1867 en référence à l’avocat, homme politique et éleveur Samuel Augustus Maverick, considéré par ses pairs comme « indépendant d’esprit » car refusant de marquer son bétail. Depuis lors, maverick désigne des anticonformistes et autres esprits rebelles. Libre, un peu chien fou, un brin tête à claques et marqué par des rapports complexes avec toute forme d’autorité, Maverick personnifie la guerre aérienne chevaleresque. Prêt à braver ordres et dangers pour secourir un frère d’arme en difficulté, il répond à tous les schémas narratifs du héros américain par excellence et porte l’aviateur au rang de mythe.
 

 

De Top Gun à Top Gun

 
« L’attitude de tête brûlée de Maverick représente ce que l’on ne veut pas voir chez les pilotes de la chasse embarquée », commente le capitaine de corvette Vincent, pilote au sein du GAé, « Si les pilotes sont en effet avant tout des combattants passionnés, leurs qualités premières sont le sang-froid et la résilience, nécessaires pour affronter les coups durs tout au long de leur formation et de leur carrière, toutes deux longues et très exigeantes. »
Interrogé sur les exploits solitaires de Maverick, celui-ci répond : « Les pilotes du GAé, comme une meute de loups, forment un groupe, soudé autour d’un leader, où chacun connaît son rôle et sa fonction dans la réussite de la mission. Nous passons beaucoup de temps ensemble, à la fois sur le porte-avions et dans notre vie civile. »
Si l’image du pilote incarné par Tom Cruise est aux antipodes de la réalité, le GAé ne renie pas ses liens avec les États-Unis et… le programme Top Gun ! Avant d’être un film au succès retentissant Top Gun est avant tout le surnom du programme de formation des pilotes d’élite de l’US Navy du Naval Strike and Warfare Center, situé au sein la station aéronavale Fallon, dans le Nevada et auparavant implanté à Miramar, en Californie.
Ce programme, extrêmement sélectif et d’une durée de douze semaines a été créé à la suite de la guerre du Vietnam. Celle-ci a vu la perte de nombreux pilotes américains, peu performants en combat aérien rapproché. Initialement nommé Navy Strike Fighter Tactics Instructor program, la formation a pris le surnom de Top Gun bien avant la sortie du film. Elle se démarquait par l’enseignement des stratégies et techniques les plus à la pointe de leur temps, mais aussi l’opportunité de partager ces connaissances entre pilotes. À l’issue de la formation, la majorité des pilotes sont devenus des enseignants de haut niveau.
Les pilotes de l’aéronautique navale française ont un lien particulier avec les États-Unis. En effet, qu’ils se destinent au pilotage sur Rafale ou sur E-2C Hawkeye, ceux-ci se voient proposer après la sélection deux types de formations. La première option, le cursus dit « classique » voit les pilotes être affectés à l’armée de l’air sur la base de Salon-de-Provence pour l’obtention de l’ATPL théorique. Ils volent sur Cirrus SR-20 avant de rejoindre Cognac pour suivre une formation articulée en deux parties : un enseignement sur Grob-120 et une pré-spécialisation chasse sur Pilatus PC-21. Ces étapes s’étalent sur une durée de deux ans. Passé cela, les pilotes complètent leur formation au sein de la marine américaine. La seconde option permet, depuis 2006, de suivre la totalité de l’enseignement aux États-Unis directement après la sélection à Lanvéoc. Cette formation est intégralement commune à celle des pilotes de l’US Navy. Dans les deux cas, les pilotes effectuent un séjour sur la base de Meridian (Mississippi) pour la formation intermédiaire et avancée sur T-45C Goshawk, où enseignent de nombreux instructeurs issus de Top Gun.
La coopération franco-américaine ne se limite pas à la formation des pilotes de l’aéronautique navale. Récemment, des déploiements communs ont permis de maintenir le niveau de compétence des marins français et un haut niveau d’interopérabilité. L’opération Chesapeake, qui s’est déroulée sur les mois d’avril et mai 2018 a notamment vu les Rafale français embarquer sur l’USS George H.W. Bush pendant une période de 10 jours. Une première pour des appareils non américains et un cas unique à ce jour. Vincent, alors commandant des opérations de la flottille 17 F, commente : « Il a fallu que nous adaptions notre rythme de travail […]. Leur mode opératoire diffère du nôtre car ils sont capables de catapulter et de faire apponter en même temps. Nous avons réussi à relever le défi et enchaîner les missions d’entraînement de midi à minuit, en collaboration avec les Super-Hornet de nos frères d’armes. ». Le Charles de Gaulle a lui aussi eu l’opportunité d’accueillir à son bord les F-18 américains.
Plus récemment, en février 2020, le destroyer USS Ross a intégré le groupe aéronaval français dans le cadre de la mission Foch. Ils opèrent de manière conjointe dans l’opération Chammal, composante française de l’opération de la coalition internationale de la lutte contre Daesh, Inherent Resolve. Cette coopération illustre de liens forts et une mutualisation des savoir-faire entre les deux nations.
Depuis la sortie de Top Gun, l’image du pilote de l’aéronautique navale n’a cessé de faire rêver. Pour preuve, les productions cinématographiques n’ont jamais été aussi foisonnantes à ce sujet avec pour point d’orgue, la sortie de Top Gun 2 prévue fin 2020.
Si le cinéma français n’a pas encore consacré d’œuvre majeure à l’aéronautique navale, la France semble malgré tout avoir saisi le potentiel d’image d’une mise en scène de ses armées. Avec Les chevaliers du ciel en 2005, Le chant du loup en 2019 et la création d’une mission cinéma au sein du ministère des armées en 2016, une dynamique cinématographique (et de recrutement ?) semble être lancée.
 

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Bibliographie :
Marine nationale, « L’aéronautique navale, les ailes de la mer », Bulletin d’études de la Marine n° 46, octobre 2009 (consulté le 11 juin 2020)
Dominique COTARD, Les aérostiers cerf-volistes
Nico PRAT, « Top Gun c’est l’Amérique ! », Rockyrama n°19 – Tom Cruise, 31 mai 2018, (consulté le 11 juin 2020)
Joey HADDEN, « ‘Top Gun’ and ‘Top Gun: Maverick’ are based on a super-elite US Navy training program, and fighter pilots say the films are pretty spot on », Business Insider, 2 février 2020 (consulté le 11 juin 2020, version française disponible ici)
Chasse Meridian
Marine nationale, « Chesapeake, un déploiement inédit », Cols bleus, 30 mars 2018 (consulté le 11 juin 2020)
Ministère des armées, Mission Foch : coopération franco-américaine de haut niveau, 13 février 2020 (consulté le 11 juin 2020)
[1] Chiffre de 2011
 
 
 
Plus d’informations sur le comité aéronautique et espace :
 
https://jeunes-ihedn.org/comites/aeronautique-et-espace/
 

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