Depuis les découvertes massives d’hydrocarbures dans les pays du Golfe dans les années 1960 et 1970, les yeux du monde se sont tournés vers l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Iran, l’Irak, le Koweït et les Émirats arabes unis, véritables puits de pétrole et de gaz. Cependant, le Proche-Orient, qu’on a longtemps cru dénué de ressources énergétiques, s’est lui aussi retrouvé sous le feu des projecteurs à la fin des années 2000, lorsque d’importantes ressources gazières ont été découvertes offshore en Méditerranée orientale.
Les prospections gazières ont débuté à la fin des années 1990 en Israël[1]. Un tournant a véritablement été marqué avec la découverte en 2009 du champ gazier offshore de Tamar, avec des réserves estimées à 240 milliards de mètres cubes. Les champs de Léviathan, d’Aphrodite et de Zohr ont ensuite été découverts respectivement en Israël en 2010, à Chypre en 2011 et en Egypte en 2015[2]. Au vu des réserves de ses voisins et de la géologie de la zone, le Liban possède lui aussi un fort potentiel en matière de ressources énergétiques. Ses réserves gazières pourraient atteindre jusqu’à 25 000 milliards de pieds cubes[3].
Auteur : Chloé BERNARD, membre du comité énergies et environnement
Relecture par le pôle publication de l’association
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Les découvertes de gisements gaziers en Méditerranée pourraient amener Israël et le Liban à devoir s’accorder pour résoudre leur contentieux maritime frontalier, afin de bénéficier des revenus de l’exploitation du gaz. Les deux pays pourraient même développer un dialogue afin d’exploiter leur gisement commun, comme c’est le cas entre le Qatar et l’Iran[10]. Un tel accord ouvrirait alors la voie à une normalisation des relations entre les deux Etats, et pourquoi pas à un traité de paix, mettant officiellement fin au conflit qui les oppose depuis 1948.
La manne financière permise par l’exploitation et l’exportation des ressources énergétiques est si importante qu’elle peut pousser les États à résoudre leurs différends afin de la percevoir. Plusieurs exemples l’ont démontré dans l’histoire. L’oasis de Buraimi par exemple, a été la source d’un contentieux territorial entre les États de la trêve – aujourd’hui Émirats arabes unies (EAU) –, l’Arabie saoudite et Oman. Le contentieux remonte à 1949, lorsque l’Arabie saoudite revendique une partie du territoire d’Abou Dhabi ainsi que l’oasis de Buraimi, suspectés de contenir de grandes ressources pétrolières. En 1952, les Saoudiens envahissent l’oasis et soudoient les tribus qui y vivent. Plusieurs tentatives d’arbitrage afin de résoudre le conflit se soldent par des échecs. À la suite de l’accession au pouvoir de Cheikh Zayed dans les États de la trêve en 1966, une nouvelle tentative est effectuée pour résoudre le litige sur Buraimi, territoire toujours revendiqué par les Saoudiens. À l’indépendance des EAU en 1971, leur frontière avec l’Arabie saoudite est encore incertaine. Le litige est finalement résolu en 1974, après un bref conflit armé, par l’accord de Jeddah : Buraimi devient émirien au prix de la cession par les EAU de Khor al Udeid et du champ pétrolifère de Shaybah à la partie saoudienne[11]. Même si les EAU n’ont pas ratifié l’accord de Jeddah, leurs relations avec le Royaume saoudien sont aujourd’hui au beau fixe et les litiges frontaliers semblent oubliés tant que chacun peut exploiter ses hydrocarbures. La découverte de gaz dans la zone maritime contestée entre Israël et le Liban pourrait alors en pratique être l’occasion de régler le litige frontalier et le conflit latent entre les deux États.
En effet, Israël et le Liban sont bien dans un état de guerre depuis la création de l’Etat hébreu. A l’origine du conflit, la création d’Israël sur les territoires de l’ancienne Palestine mandataire en 1948. Les pays arabes, dont l’Egypte, la Syrie, le Liban, l’Irak et la Jordanie s’y opposent fermement. Une première guerre en 1948, une deuxième en 1967 et une troisième en 1973 opposent les Arabes aux Israéliens. A l’issue de ce troisième conflit, la guerre du Kippour, plusieurs États du Proche-Orient signent des accords de paix avec Israël. C’est le cas de l’Egypte en 1979, à la suite des accords de Camp David, et de la Jordanie en 1994.
En revanche, la guerre du Kippour n’a pas marqué un apaisement de l’état de conflit entre Israël et le Liban, bien au contraire. En 1978 puis en 1982 lors de la guerre civile libanaise, les Israéliens envahissent le Liban, afin de mater la résistance palestinienne, qui en a fait son bastion depuis Septembre noir[12]. La première fois jusqu’au fleuve Litani, et la deuxième jusqu’à Beyrouth. Un accord de paix avec le Liban est signé en 1983 mais annulé un an plus tard. En 1993, puis en 1996, le Liban est de nouveau envahi par Israël qui cherche à mettre fin à la guérilla du Hezbollah. La dernière guerre en date est celle de 2006, déclenchée à la suite d’un accrochage frontalier entre le Hezbollah et Israël. La riposte de l’Etat hébreu est très violente ; le Liban est bombardé pendant plus de 30 jours. Le Hezbollah en ressort plus puissant que jamais. Les relations entre Israël et le Liban sont donc extrêmement conflictuelles. Le fait que les deux pays ne se soient jamais reconnus pose des problèmes quant à la délimitation de leurs frontières respectives, aussi bien terrestres que maritimes.
Le litige maritime entre Israël et le Liban est très difficile à résoudre[13]. Une première possibilité de résoudre un tel contentieux est la négociation directe entre les États. Elle est impossible pour le cas qui nous occupe dans la mesure où le Liban ne reconnaît pas Israël. Accepter des négociations directes reviendrait en effet implicitement à reconnaître l’Etat hébreu. Une deuxième option est le recours à la Cour internationale de justice (CIJ) onusienne. Toutefois, la CIJ ne peut statuer sur un cas qu’avec l’accord explicite des États et Israël refuse systématiquement l’intervention de l’ONU dans ses affaires internes, ce qu’il dénonce comme des ingérences onusiennes. La Force intérimaire des Nations Unies pour le Liban (FINUL) avait par ailleurs proposé d’élargir son mandat sur la frontière terrestre entre les deux États à la frontière maritime, ce qu’Israël avait refusé[14]. Une troisième solution est de recourir au Tribunal de la mer de Hambourg, institué par la Convention des Nations Unies sur le droit maritime (CNUDM). Là encore, cette option est impossible dans la mesure où Israël n’a pas ratifié la CNUDM. La seule voie qui demeure est donc la médiation.
En 2011, les États-Unis proposent de faire office de médiateur entre Israël et le Liban afin de résoudre leur différend. Les points de désaccord étant importants – tracé de la frontière maritime et terrestre ou seulement maritime, inclusion ou non de l’ONU dans les négociations – cette tentative de médiation n’a pas abouti. Un nouveau processus de médiation américaine a vu le jour suite à l’accroissement des tensions entre Israël et le Liban. En 2017, le journal israélien Haaretz a en effet rapporté que le Hezbollah était capable d’attaquer les plateformes gazières israéliennes. En réaction, le « parti de Dieu » a affirmé qu’il défendrait les sites gaziers libanais contre « toute agression »[15]. Fin 2018, le Liban a annoncé l’attribution de concessions à des entreprises étrangères pour l’exploration du bloc 9, ce qu’Israël a dénoncé. En mai 2019 enfin, le gouvernement israélien a accepté “d’entamer des discussions bilatérales avec la médiation des États-Unis pour mettre un terme au litige frontalier”[16]. Le Secrétaire d’État américain pour le Proche-Orient, David Satterfield, puis son successeur David Schenker, ont alors fait la navette entre les deux pays pour faire avancer le règlement du litige. Début septembre 2019, le président libanais, Michel Aoun, a invité les Etats-Unis à poursuivre leurs efforts de médiation.
À ce jour, la médiation n’a pas abouti pour plusieurs raisons. La première est que le gouvernement américain peine à s’imposer comme un médiateur neutre entre Israël et le Liban. En outre, dans la mesure où la politique du président américain Donald Trump s’est caractérisée par un isolationnisme et un protectionnisme croissant, il semble peu probable que sa volonté politique de résoudre ce litige territorial soit forte, alors qu’elle est nécessaire pour faire avancer un tel dossier. De plus, la population libanaise est encore très sensible aux relations avec Israël. La guerre de 2006 et la violation régulière de leur espace aérien contribuent à la rancœur des Libanais vis-à-vis d’Israël. Le Hezbollah tire également sa légitimité auprès d’une partie de la population libanaise de son combat contre Israël. Celui-ci est sa principale raison d’exister et la justification de son refus de déposer les armes, contrairement à ce que prévoyaient les accords de Taëf de 1989. Une normalisation des relations avec Israël entraînerait par conséquent la disparition de la raison d’être du Hezbollah. En outre, les élections législatives israéliennes de septembre 2019 n’ont pas permis la constitution d’un gouvernement et le pays voit de fait s’enchaîner les campagnes électorales. Au Liban enfin, la situation politique et sociale est explosive et un nouveau premier ministre vient tout juste d’être nommé. La situation internationale et locale n’est donc pour le moment pas favorable à la résolution du différend frontalier maritime entre Israël et le Liban.
La situation économique actuelle du Liban est désastreuse. Le pays fait face à une crise des liquidités et apparaît incapable de faire face à son énorme dette qui dépasse 150% de son PIB[17].
L’exploitation de ses réserves de gaz permettrait au Liban d’éponger sa dette et de mieux couvrir sa consommation énergétique intérieure, notamment électrique. Le Liban importe en effet 96 % de ses besoins énergétiques[18]. Des milliers de foyers dans la Bekaa, le Sud et l’Akkar, sont à ce jour régulièrement privés d’électricité. Le gaz est également utilisé par la majorité des foyers pour le chauffage et la cuisine. En 2017, le pays importait 25% de son gaz de pétrole d’Italie, 32% de Libye, 15% de France et 10% d’Algérie[19]. Exploiter son gaz permettrait au Liban de réduire sa dépendance vis-à-vis de ses exportateurs et d’assurer en partie sa sécurité énergétique.
S’il dispose d’un surplus, le Liban pourrait envisager d’exporter son gaz naturel. Cette possibilité est tout à fait envisageable sur le plan technique. Israël a débuté ses exportations de gaz vers l’Égypte en décembre 2019 via le gazoduc sous-marin EMG[20] et est en train de mettre au point le projet de gazoduc EastMed, permettant de le relier à l’Europe en passant par Chypre[21]. Il semble donc faisable pour le Liban d’exporter son gaz par gazoduc. Certes, un tel projet est coûteux mais des compagnies, comme Gazprom et Lukoil côté russe et BP côté britannique, ont montré un intérêt pour le potentiel gaz libanais[22]. Selon toute probabilité, les firmes gazières et pétrolières européennes seraient également intéressées, dans la mesure où les pays européens cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement en gaz pour réduire leur dépendance à l’égard de la Russie[23]. Dans le cas où le Liban déciderait de ne pas recourir à cette méthode, il pourrait toujours exporter son gaz par méthaniers, comme l’Égypte. Il lui faudrait alors construire un ou des terminaux de liquéfaction. Des pays comme la France, la Grèce et l’Italie, qui seraient de potentiels importateurs, disposent cependant de terminaux de regazéification et seraient donc capables de recevoir du GNL libanais.
La production de gaz naturel puis son exportation pourraient servir la reconstruction et le développement du pays. Les revenus générés par les exportations de gaz contribueraient à financer les besoins gigantesques du Liban en infrastructures. Les habitants non équipés de générateurs font en effet face à des coupures d’électricité quotidiennes, il n’existe pas de système de transports en communs ni de recyclage des déchets et l’eau du robinet n’est pas potable. D’importantes rentrées d’argent seraient nécessaires pour financer ces travaux colossaux. L’exemple du Koweït est à cet égard éclairant. Le petit émirat est parvenu à assurer sa reconstruction post-première guerre du Golfe grâce à sa manne pétrolière et à l’établissement d’un plan quinquennal par la Kuwait petroleum corporation[24].
Enfin, l’exploitation de ses ressources en gaz par le Liban pourrait ouvrir la voie à un rétablissement de la stabilité de l’État libanais[25]. Une augmentation des revenus du pays grâce à l’exploitation du gaz pourrait permettre une embellie économique et favoriserait dès lors la stabilité politique, dont le pays a grandement besoin.
L’exploitation des hydrocarbures comporte également de nombreux risques qui peuvent toutefois faire obstacle à la stabilité du régime libanais et entraver le développement du pays à long terme.
Le premier risque pour le Liban serait de fonder entièrement son économie sur les revenus issus de cette exploitation et de tomber dans les pièges de la Dutch disease et de l’État rentier. Dans le premier cas, l’économie du pays est concentrée sur le secteur des hydrocarbures, ce qui entraîne une baisse ou un manque de compétitivité des autres secteurs à l’international. L’économie libanaise pourrait alors manquer de diversification. Pour ce qui est de l’État rentier, il se caractérise par une redistribution de la rente auprès de la population, qui n’est pas taxée, ce qui engendre le clientélisme. Bénéficiant de revenus issus de la rente et exemptée de taxes, la population peut avoir moins de volonté d’être représentée au sein d’un Parlement, ou de changer de régime. Par ailleurs, la rente est souvent contrôlée par un noyau régnant restreint, la plupart du temps formé d’une même famille, ce qui est le cas de l’Arabie saoudite, des EAU, du Koweït et du Bahreïn. Qui contrôle la rente, contrôle alors le pouvoir politique. Les États rentiers utilisent donc la rente des hydrocarbures pour acheter la paix sociale et sont peu propices à la démocratie.
En outre, la corruption et le potentiel de conflictualité au Liban sont extrêmement forts[26]. Le pays est classé 143e sur 180 en termes de corruption par Transparency international[27], augmentant les risques de clientélisme et de confiscation d’une potentielle rente gazière par un petit noyau d’individus à leur profit plutôt que son utilisation en faveur du développement du pays. Au Liban, la rente pourrait être de facto privatisée par des factions ou groupes armés, qui sont extrêmement puissants dans le pays. Une mauvaise redistribution de la rente pourrait également accentuer les tensions sociales, déjà vives, comme c’est le cas au Nigeria. Ce regain de tensions pourrait même prendre une couleur confessionnelle.
Les autres risques menaçant les exportations d’hydrocarbures et les revenus qui en découlent sont les aléas politiques et économiques régionaux[28]. Le Proche-Orient est une région instable, en proie à des conflits, de vives tensions sociales et à l’action de groupes terroristes. Tous ces éléments font que les sabotages et attentats sont relativement fréquents et peuvent toucher les infrastructures gazières libanaises et donc le cœur de l’économie du pays si celui-ci devient exportateur de gaz. Enfin, la volatilité des prix des hydrocarbures crée une instabilité économique quasi-permanente. On pense notamment aux EAU, habituellement montrés comme des modèles de réussite économique, qui ont beaucoup souffert de la crise de 2008 et à l’Arabie saoudite en 2014, qui a connu une grave crise, dont elle peine à se relever, consécutive à la baisse mondiale des prix du pétrole, conséquence d’une surproduction pétrolière[29].
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La photo de couverture et la première carte sont des créations de l’auteur de l’article (DR).
Merci au groupe Total, qui nous autorise à utiliser la dernière carte (DR).
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