Pour le Général Paul SANZEY, commandant de la 27e brigade d’infanterie de montagne, il faut voir l’Arctique comme le flan nord de l’Europe, une zone à forts enjeux où compétition et tensions interétatiques s’entremêlent. Nos troupes de montagne ont à ce titre vocation à pleinement s’y engager comme c’est déjà le cas en Scandinavie avec l’opération Cold Response. Du fait de sa spécificité, il est important d’aborder la région à deux échelles : le niveau géopolitique (stratégique) abordé dans ce colloque par les universitaires Eric CANOBBIO, Anne CHOQUET et Camille ESCUDE-JOFFRES et le volet opérationnel (tactique) développé ensuite par le médecin en chef Benoît GINON, le lieutenant de vaisseau Enoal GABRIEL, le groupe militaire de haute montagne et Hervé BAUDU membre de l’Académie de marine.

Bien que l’on parle généralement d’un Arctique, peut-être devrions-nous parler d’Arctiques tant cet espace est pluriel. Dans la définition d’abord, les chercheurs et États sont divisés entre une délimitation basée sur le cercle polaire ou celle se rattachant au 60ème parallèle. De même, les Arctiques européens et américains se distinguent sur bien des aspects : côté européen et russe la région est davantage développée avec des routes maritimes et ports ouverts toute l’année contrairement à la partie américaine, et à l’inverse l’Alaska reste le territoire le plus peuplé du grand Nord.

Ceci dit, l’intégralité de cet espace connaît la fonte de la banquise. Outre les problèmes environnementaux qui en découlent, ce phénomène génère également de la conflictualité en Arctique. Il y aurait en effet 10% des réserves mondiales de pétrole et 30% des réserves de gaz à découvrir selon une étude de 2007. A cet effet et conformément à la Convention de Montego Bay, les États arctiques affirment leurs prétentions pour étendre leurs plateaux continentaux, ce qui conduit inévitablement à des chevauchements et des conflits potentiels. Les routes maritimes du Nord-Est et du Nord-Ouest suscitent également de plus en plus d’intérêt, ce qui débouche parfois sur des conflits de juridiction.

On assiste en conséquence à une remilitarisation inédite depuis la fin de la Guerre Froide.

Dans ce contexte et à la différence de l’Antarctique où les discussions et la coopération entrent dans le cadre d’une organisation internationale et de règles obligatoires, l’Arctique est moins formalisé. Certes il existe un forum de l’Arctique réunissant 6 membres permanents et les populations locales, mais ce dernier est essentiellement scientifique et est suspendu depuis le début de la guerre en Ukraine.

Au regard de ces enjeux stratégiques, il devient nécessaire de développer une approche opérationnelle de la région. Pour nos militaires, le grand froid induit des risques liés aux pathologies du froid (hypothermie, gelures, perturbation du rythme circadien, etc.) mais aussi un certain nombre de contraintes (un matériel spécifique comprenant notamment hache et scie à neige, une alimentation supplémentaire, des habits particulièrement chauds). Pour le médecin c’est une double peine : c’est un soldat comme les autres évoluant dans un espace hostile et les blessés sont plus vulnérables ; d’où la doctrine du « Scoop and Run » consistant à chercher le blessé et le ramener rapidement vers la tente de secours pour lui administrer les premiers soins. Pour les commandos, il s’agit de se préparer à ces conditions extrêmement rudes afin de tenir plusieurs semaines. Cela passe par une préparation spéciale en vue de l’acquisition des bons réflexes et d’une cohésion particulièrement forte. Cette formation n’est possible que par le travail du Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) qui, par les expéditions, s’exerce et cherche ses limites, garantit et transmet des savoir-faire spécifiques, essaye du matériel et de nouvelles techniques de franchissement. L’Armée de l’Air quant à elle a longtemps été hésitante à intervenir dans ces milieux mais y travaille actuellement.

S’agissant de la Marine Nationale, les missions polaires ne sont pas très courantes. Néanmoins, pour les mener à bien, le commandement, en plus d’être au fait des enjeux géopolitiques, doit connaître géographie et météo pour prévenir ou rallier un port en cas d’imprévus. Concernant le navire, l’autonomie est primordiale (vivres, climatisation pour le confort de l’équipage, stocks de médicaments, etc.). La navigation dans les eaux froides multiplie par ailleurs les risques industriels et de renversement du navire (formation de glace sur la structure). S’agissant de l’équipage, l’entraînement et l’équipement permettent l’acquisition de bons réflexes et d’éviter les éventuelles blessures. Sur le terrain, il est nécessaire d’adapter les rondes à la fatigue et de prendre en compte la solitude des marins privés de communication avec les familles.

La marine marchande est quant à elle moins exposée aux problématiques du grand froid. En effet, la route du Nord n’est que peu empruntée, les risques étant encore trop importants. En fait, les intérêts commerciaux sont surtout russes, l’océan Arctique leur permettant d’exporter gaz et pétrole vers l’Europe ou vers la Chine. Le cas échéant, les navires sont équipés en conséquence en plus d’être escortés par des brise-glaces.