Langue française et influence de la France dans le monde

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[ COMPTE-RENDU ]

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La langue française et influence de la france dans le monde

Le Comité Culture et Influences a organisé une webconférence le 3 mars 2022 afin d’inaugurer le mois de la Francophonie. Intitulée « Molière dans ses états : langue française et influence de la France dans le monde », la webconférence a fait intervenir Laurant CAGNA, Directeur des relations institutionnelles et des relations avec la Francophonie à TV5MONDE et Henri MONCEAU, Directeur de la Francophonie économique et numérique de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

Le français dans le monde

Avec 300 millions de francophones répartis sur les cinq continents, la langue française fait indéniablement office de contrepoids à l’hégémonie anglophone. Se pose alors la question de savoir quels ont été les moyens mis en place afin d’installer cette influence. Pour y répondre, cette webconférence a analysé les mécanismes de développement de la Francophonie à travers deux organismes au service de la langue de Molière : l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et TV5MONDE.

Pour débuter cette webconférence, Les Jeunes IHEDN proposent aux deux invités de faire un premier constat sur la présence de la langue française dans le monde. Henri MONCEAU commence par citer Xavier NORTH, délégué général à la langue française et aux langues de France au ministère de la Culture, qui déclare que la communauté francophone est une force linguistique qui fait dès lors sans nul doute de la langue française un contrepoids face à l’hégémonie anglophone.

En regardant les 88 États et gouvernements de l’OIF (54 membres, 7 membres associés et 27 observateurs), un seul pays est monolingue c’est-à-dire n’ayant qu’une seule langue officielle : c’est tout simplement la France. Les autres États membres partagent le français comme langue officielle avec d’autres langues. En analysant la situation de la Francophonie en Afrique par exemple, on constate que la langue française y est minoritaire. Cela montre que la Francophonie présente aussi des fragilités. Néanmoins, c’est grâce au dynamisme démographique de l’Afrique que la Francophonie est l’espace linguistique à la plus forte croissance : le nombre de personnes parlant le français augmentera de 143% entre 2015 et 2065 (contre 62% pour l’anglais). Le français reste donc une langue attractive car cela peut constituer un avantage, surtout dans un monde de plus en plus anglo-saxon. Ainsi, la Francophonie est un atout, une force en terme de soft power tout en ayant ses faiblesses.

Laurent CAGNA poursuit ce constat de la présence de la langue française dans le monde en rappelant que le premier pays francophone au monde est la République Démocratique du Congo. Partageant les dires du directeur de la Francophonie économique et numérique de l’OIF, il ajoute qu’un rapport de l’OIF est sorti le 16 mars 2022 afin de mettre en lumière le multilinguisme, point abordé lors d’un discours du Président de la République française à l’Institut de France. Emmanuel MACRON, lors de ce discours, souhaite promouvoir le français afin de le faire passer de la cinquième à la troisième place des langues les plus parlées dans le monde. Laurent CAGNA précisait justement que, dans un monde multilingue, l’idée n’est pas de comprendre cela comme un rapport de force entre les langues ou une compétition, mais plutôt comme une volonté de réaffirmer la place de la langue française sur la planète.

Dans le passé, il n’y avait pas qu’une seule langue dominante comme l’anglais aujourd’hui. D’ailleurs, le français était utilisé lors des échanges diplomatiques : il était considéré comme la langue de référence en matière de diplomatie jusqu’au XIXe siècle. Seulement, la langue française n’était utilisée que par une élite, ce qui signifie qu’à côté de cela existait un énorme foisonnement linguistique. Ce n’est que depuis 30 ans, avec l’essor du numérique et l’entrée dans un monde globalisé, qu’une seule langue, l’anglais, domine pour des raisons fonctionnelles comme notamment la facilité apportée pour les échanges à grande échelle pour qu’autant de personnes possible se comprennent. À titre d’exemple, le « broken english » est le nom pour une version de la langue anglaise non standard, non traditionnellement parlée ou écrite de manière alternative, mais qui représente pour les économistes une langue commune. Il est aussi flagrant que lorsque plusieurs langues sont parlées sur un même territoire et qu’elles se trouvent en compétition, une langue finit toujours par dominer l’autre, excepté si des mesures extrêmement fortes sont mises en place afin d’éviter ce rapport de force, ce qui reste rare dans les sociétés ouvertes. La langue française est donc dans une position de fragilité car elle est souvent mise dans ce genre de rapport de force au sein de nombreux territoires car les populations ont du mal à voir l’atout que cette langue peut représenter pour elles.

Pour la suite de cette webconférence, la question principale était de savoir comment rendre le français plus attractif en s’attachant à l’adaptation des institutions en termes de stratégie de rayonnement face à la crise du multilatéralisme. L’idée est de dresser une étude de la langue en milieu plurilingue et d’observer la manière dont s’organise la Francophonie dans ce milieu. Les deux invités ont d’abord présenté le rôle de leur organisme dans l’espace francophone.

L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a été créée au lendemain de la période de décolonisation dans les années 1960. Cette création est le résultat d’un bouillonnement d’acteurs politiques et intellectuels des pays tout juste indépendants qui voyaient en cette langue laissée par le colonisateur un moyen pour eux d’exister dans la communauté internationale. La première action fut la création de l’Agence de coopération culturelle et technique entre les membres francophones à la suite de la Conférence de Niamey en 1970, qui avait pour objectif de créer une plateforme autour de la langue. Des enjeux diplomatiques et politiques furent vite introduits puisqu’ils ont dû se cadrer avec notamment la Charte de Bamako en 2000 qui est venu fixer aux membres de l’organisation intergouvernementale une perspective en termes de développement démocratique. Cette première organisation intervient comme opérateur principal de la Francophonie dans les domaines de l’éducation et de la formation, des sciences et techniques, de l’agriculture, de la culture et la communication, du droit et de l’environnement et de l’énergie. Elle est intégrée à l’OIF en 2006. Aujourd’hui, l’OIF est une organisation intergouvernementale qui rassemble 88 États et gouvernements. Cette composante francophone doit être perçue comme un ensemble, une galaxie institutionnelle. Galaxie institutionnelle car la charte qui régit cette organisation a aussi été adoptée par d’autres organisations comme l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, l’Agence universitaire de la Francophonie, l’Association internationale des maires francophones ou par encore un média comme TV5MONDE. L’OIF n’est pas une organisation normative mais plutôt une organisation qui a pour but de convenir et de donner une force permettant à la Francophonie de peser sur la scène mondiale. C’est une puissance virtuelle extrêmement importante et organisée avec des représentations dans le monde entier dont quatre dans les grands pôles multilatéraux (Genève, Vienne, New York et Bruxelles). Henri MONCEAU a enfin expliqué quelles pouvaient être les faiblesses de l’OIF : la France ne cernerait pas encore l’intérêt que représente la Francophonie et le soft power n’est pas correctement utilisé par les États membres par rapport à la langue française et ses atouts.

La deuxième organisation présentée lors de ce moment d’échanges est TV5MONDE qui existe depuis 40 ans et qui est née de la volonté d’un certain nombre d’États de développer un média francophone diffusé sur l’ensemble de la planète. Dans une même perspective que l’OIF, sachant que c’est un média, TV5MONDE promeut l’apprentissage du français et la culture française par les canaux de télévision. Elle est financée par des sociétés privées à capitaux publics : par exemple depuis décembre 2021, Monaco est devenu le sixième gouvernement bailleur de fonds du média avec la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Canada, le Québec, la France ou encore la Suisse ; cette adhésion constituait l’une des priorités du plan stratégique 2021-2024 du média. TV5MONDE est régie par deux accords internationaux qui n’ont pas de portée normative. Une double gouvernance, qui regroupe l’ensemble des ministres et des gouvernements en charge de la Francophonie et qui financent et supervisent ce média. TV5MONDE est diffusée dans plus de 400 millions de foyers dans 198 pays, y compris en Chine où il est le seul média francophone accepté puisqu’il ne s’agit pas d’un média franco-français mais lié à plusieurs États et gouvernements. Sa mission est d’entretenir des relations avec les entités publiques car la diffusion de certains contenus n’est pas toujours garantie à cause de la fragilité du français. Ce média constitue en somme un instrument du soft power mais la diffusion de contenus culturels et d’informations est un combat de tous les instants. Pour avoir une idée de la portée du média, son contenu est sous-titré en 13 langues. TV5MONDE avait par exemple une forte audience russe mais a dû arrêter les diffusions en Russie en raison d’une nouvelle législation liée à l’invasion de l’Ukraine.

Quelles sont les stratégies mises en place afin d’accroître l’influence de la Francophonie ?

En matière de contenu, Laurent CAGNA souligne les difficultés que rencontre TV5MONDE pour atteindre les téléspectateurs. Avec l’apparition des plateformes de streaming, les audiences de la télévision traditionnelle ont diminué. Le média a décidé avant tout de conserver son modèle originel qui est de faire de la télévision dite primaire, surtout qu’il n’a pas les droits pour le monde entier et fait parfois face à des problèmes budgétaires ; ces raisons font que TV5MONDE est limité pour essayer de toucher davantage d’audience et ainsi faire rayonner davantage la langue française. Néanmoins, le directeur des relations institutionnelles et des relations avec la Francophonie du média précise que TV5MONDE a mis en place une plateforme de diffusion accessible gratuitement partout dans le monde, une sorte de « Netflix francophone ». Dans ce cadre-là, la stratégie est de faire une transition pour atteindre le public souhaité et notamment les jeunes. Le média a ainsi développé des programmes pour l’apprentissage du français comme des chaînes créées pour la jeunesse en Afrique et dans le monde arabe, ainsi que des programmes sous-titrés en français pour les plus petits enfants. Sa stratégie est donc de cibler un nouveau public dans un monde de plus en plus concurrentiel.

Henri MONCEAU a mis en lumière la question de la place du français dans les institutions et surtout en Europe, car le multilinguisme dans les institutions européennes est une question d’actualité. En effet, la plupart des textes adoptés sont d’abord publié en anglais puis pour les autres langues c’est la règle du « on verra ». L’OIF brigue alors la possibilité de faire vivre le français. C’est une prise de conscience et de sensibilisation à faire car le choix linguistique de l’anglais dominant les autres langues a des conséquences sur la souveraineté : souveraineté à comprendre comme la capacité qu’un État possède à défendre des valeurs et non comme une « souveraineté nationale ». Aux Nations Unies les deux langues de travail sont l’anglais et le français, puis viennent six langues officielles. Le cas de l’Union européenne est particulier puisqu’elle compte 24 langues officielles et encore certains États comme Malte ne reconnaissent pas les autres langues. Tandis que lors des grandes réunions toutes les langues sont interprétées, lors de réunions plus restreintes ou dans le cadre d’échanges bilatéraux une seule langue prévaut (même principe que pour l’adoption de texte). Cette tendance a un impact direct sur la pensée puisque si l’on pense au fait que l’on n’utilise pas les mêmes concepts selon les langues et au formatage des fonctionnaires internationaux qui sont censés parler le meilleur anglais possible, cela crée un engloutissement de la diversité culturelle dans les institutions. En allant plus loin, cela a même un impact dans l’enseignement supérieur où les universités veulent former des élites internationales en anglais. Ceci explique l’abandon de cette souveraineté qui fragilise la langue française puisque les langues entrent dans une compétition internationale. L’attitude à adopter est de préserver un écosystème d’une diversité des langages lors de la construction de politiques culturelles ou même de coopérations internationales. Une étude a d’ailleurs montré que les relations économiques entre acteurs qui pratiquaient la même langue sont plus fécondes et intéressantes sur le plan du retour financier que si les acteurs pratiquaient des langues différentes : après la crise de 2008, les échanges commerciaux faits entre les États francophones a permis à leur PIB d’augmenter de 6%.

Ainsi, dans un monde globalisé où l’espace francophone représente 16% du PIB mondial, la stratégie de favoriser la mise en contact des entreprises à faire du commerce en français serait à prendre en compte.

Comment laisser la place à d’autres manières de s’exprimer en français ?

Le français est un trésor et c’est le bien commun de la Francophonie malgré les vécus différents, parfois horribles. La relation à la langue est bien présente mais malheureusement le débat à propos de la colonisation est encore trop tabou, les sociétés n’ayant pas un regard clair et franc vis-à-vis de ce passé. Cela entraine ainsi des confusions amenant nombre d’interlocuteurs à ne pas percevoir la différence entre la France et la Francophonie. Il est important pour les Français de comprendre ce qu’est la Francophonie et que les États francophones ne sont pas des satellites de la France.

Quelles sont dès lors les politiques qui peuvent être adoptées pour promouvoir la Francophonie ?

Laurent CAGNA a répondu par le fait de continuer à défendre le cinéma et la littérature francophones, ainsi que la musique pour diffuser la Francophonie. Il faudrait favoriser le commerce international dans le monde francophone et renforcer les liens entre les différents groupes sociaux. Le but est de continuer à faire vivre la langue. Alors que la question des francophiles a été abordée, ce dernier a clairement dit : « Soyons curieux d’aller voir ce qu’il se passe chez les autres et d’en prendre connaissance pour ensuite le diffuser ».

À propos de l'auteur

Athénaïs JALABERT-DOURY

Athénaïs JALABERT-DOURY est actuellement en licence de droit européen à l’Université Catholique de Lille et responsable du cycle diplomatie de l’art du comité Culture & Influences.

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