Rencontre avec le Colonel SANTONI, chef d’État-major du CIAE

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Rencontre avec le Colonel SANTONI - Décrypter la bataille terrestre

Le 12 mai 2022, la Délégation Auvergne Rhône-Alpes des Jeunes IHEDN a rencontré le Colonel Pierre SANTONI, Chef d’État-major du Centre Interarmées d’Action sur l’Environnement (CIAE) dans le cadre d’une conférence sur « le Triangle tactique : décrypter la bataille terrestre ».

"SI L’HISTOIRE NE SE REPETE PAS, LES GRANDS PRINCIPES TACTIQUES DEMEURENT MALGRE LES EVOLUTIONS TECHNIQUES ET CULTURELLES"

Décisive pour triompher dans une bataille, la tactique est le dernier échelon le plus opérationnel où sont planifiées et conduites les actions sur un théâtre, suivant les objectifs dictés en amont par le niveau stratégique. La tactique et la stratégie sont liées par un échelon intermédiaire, l’art opératif, qui vise à rendre tactiquement possible ce qui est stratégiquement souhaitable. Dans ce contexte, pour décrypter la bataille terrestre d’hier et d’aujourd’hui, le Colonel SANTONI examine des millénaires d’histoire militaire sous le prisme de ce qu’il appelle le triangle tactique.

Derrière ce triangle, se trouvent trois éléments : la protection, l’agression ou la puissance de feu et la mobilité. Rattachée à la symbolique du bouclier, la protection consiste également dans le fait de se camoufler ou de se cacher dans son environnement. L’agression représente l’épée, le fusil ou encore le char. Enfin, la mobilité est l’élément le plus au centre, il s’agit de l’homme qui se déplace à pied, à cheval ou en hélicoptère. Ces trois composantes donnent lieu à des jeux d’équilibre qui génèrent des modes de combat différents. Cependant, si l’une des faces du triangle supplante trop les deux autres, il y a alors un blocage tactique.

« SI L’HISTOIRE NE SE REPETE PAS, LES GRANDS PRINCIPES TACTIQUES DEMEURENT MALGRE LES EVOLUTIONS TECHNIQUES ET CULTURELLES ».

Si l’on retrace la tactique dans l’histoire militaire, des premiers Assyriens organisés en corps d’armée jusqu’aux conflits qui sévissent sur le vieux continent actuellement, on remarque que les grands principes tactiques gardent toute leur pertinence et que les conflits modernes ne s’en sont pas affranchis.

La phalange grecque est l’un des plus anciens archétypes de cet atavisme. Au temps des cités-États, la phalange hoplitique puis macédonienne est l’une des premières étapes majeures et fondatrices de l’histoire de la tactique. A contrario de ce que laisse entrevoir la pop-culture hollywoodienne, l’infanterie avançait, combattait et se protégeait groupée en carré. La phalange a été améliorée ensuite par les Romains et ses légions qui se sont dotés du glaive et du pilum. Bien des siècles plus tard, pour parvenir à briser les phalanges, on a cherché à diviser un carré pour lancer la cavalerie, en opérant une attrition à distance avec des archers ou des canons. Les conséquences tactiques sont prégnantes : un déséquilibre se forme au profit de la puissance de feu, mais au détriment de la mobilité et de la protection. De plus, le carré s’avère mal adapté aux batailles dans lesquelles l’adversaire compense son infériorité par la protection, la mobilité et la surprise, véritables leitmotivs des petites guerres ou « guérillas » en espagnol. C’est ainsi que progressivement, les tacticiens vont essayer de sortir du carré. Au XVIIIe siècle, Fréderic II de Prusse a opté pour l’ordre oblique, une formation qui lui a permis de sortir victorieux de la Bataille de Leuthen en 1757. Finalement, c’est la Bataille de Balaklava du 25 octobre 1854 qui marqua la fin relative du carré d’infanterie et de la charge de cavalerie. À cette occasion, la cavalerie russe, attaquant par surprise ses ennemis anglais, a rencontré les fusils à répétition des soldats de Colin Campbell formés en ligne, « The thin red line ».

Cette illustration de la phalange met en exergue l’intérêt et la particularité de chacun des éléments du triangle tactique. D’une part, la mobilité a indéniablement joué un rôle crucial dans l’évolution des modes de combat terrestres. À titre d’exemple, l’Europe médiévale fut fortement déstabilisée par l’arrivée des nomades de l’Est qui se déplacent à cheval. La mobilité s’est ici accentuée, jusqu’à supplanter les deux autres éléments du triangle tactique. Les victoires mongoles au cours de l’Invasion de l’Europe (1237-1241) peuvent l’illustrer, a fortiori pendant la bataille de Legnica où les archers-cavaliers ont mis en échec la cavalerie lourde occidentale. Ce déséquilibre dans le triangle est cependant une épée à double tranchant, notamment lorsque ces éléments mobiles sont parallèlement venus se briser sur les murailles des forteresses européennes.

Tout autant galvanisé par les avancées technologiques, cette puissance de feu a elle aussi été le fer de lance d’évolutions tactiques majeures. À partir du XVIIème siècle, le fusil fonctionne de mieux en mieux et la cartouche papier ainsi que le canon Gribeauval font leur apparition sur les champs de bataille. Jacques de Guibert, à qui l’on doit l’Essai général de tactique, va s’en apercevoir et élabore le principe de la division. Il s’agit d’opérer des détachements pour laisser le temps aux soldats en première ligne de recharger leur fusil, une dynamique qui favorise la mobilité et la protection. Or, un jeune officier a étudié de près tout cela et l’a ensuite mis en œuvre : Napoléon Bonaparte. Le fugitif de l’Ile d’Elbe a compris à son tour qu’il est possible de diviser l’armée et de l’amener à manœuvrer, impliquant toujours plus de mobilité.

Au cours des siècles, la puissance de feu s’est progressivement développée. Grâce à la balle qui ne se déchire plus du Capitaine Minier et l’apparition du canon rayé, on crée un fusil qui se recharge par la culasse et qui porte à 800 mètres. La puissance de feu est en passe de devenir effrayante et exponentielle. C’est au cours de la Première Guerre mondiale et de ses batailles terriblement meurtrières que les belligérants découvrent véritablement la létalité exorbitante du feu. Elle est telle qu’elle rend toute progression impossible, contraignant les soldats à creuser des tranchées. Pour retrouver cette mobilité écrasée, en 1917, les français inventent le char de combat, et progressivement, le groupe de combat évolue car des manœuvres autonomes sont confiées à des sous-officiers. Cette période est charnière dans l’évolution de la tactique, car dorénavant, la section d’infanterie de 1914 ressemble à celle des empires, celle de 1917 à celle d’aujourd’hui.

Par la suite, l’élément de mobilité ne perd aucunement de sa pertinence, ni de ses risques et périls. En 1939, la Blitzkrieg a conféré aux allemands une mobilité fulgurante, avant leur défaite historique à Stalingrad. Comme une réminiscence des européens au Moyen-âge, les soviétiques ont utilisé le concept de la forteresse pour vaincre l’avancée de l’armée allemande en 1942. Les opérations post-1945 ont, quant-à elles, été marquées par les conflits asymétriques, à l’instar de la guerre du Vietnam (1955-1975). Les États-Unis ont en effet subi l’offensive des Viêt-Congs qui maîtrisaient habilement l’art de se cacher dans la forêt, le milieu naturel ou la population. Leur mobilité et leur protection ont ainsi compensé la puissance de feu américaine.

En somme, il faut en déduire que les grands tournants tactiques sont corrélés avec les découvertes matérielles comme conceptuelles qui vont impacter les composantes du triangle tactique et les modes de combat. En sus, après 1945, l’innovation s’accélère. Le développement des moyens de communication, l’arrivée de l’hélicoptère et des missiles tactiques sur le champ de bataille, de la bombe atomique ou encore de l’arme cyber ont été d’une importance capitale dans l’évolution de la tactique. Plus récemment, la question des drones, de la robotisation et des armes autonomes ainsi que de leur rôle sur les champs de bataille du futur font couler beaucoup d’encre. Furtifs, n’exposant pas le combattant et dotés de véritables capacités d’agression, ils apparaissent dorénavant comme des « game changer » sur le point de bouleverser irrémédiablement la bataille terrestre.

À propos de l'autrice

Samantha COUILLARD

Étudiante en master Relations internationales – Sécurité internationale et Défense à l’Université Lyon 3 et membre du Comité Aéronautique et Espace des Jeunes IHEDN, Samantha est passionnée par le monde de la défense ainsi que les questions stratégiques et militaires. Elle s’intéresse tout particulièrement à la 3ème dimension et aux capacités stratégiques relatives à la puissance aérienne, au domaine spatial et au nucléaire.

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